Introduction
Je poursuis l’analyse des types de coaching et des niveaux de profondeur de traitement en abordant la question sous l’angle des niveaux logiques, concept dont les bases ont été posées par Gregory Bateson[1] puis développées et approfondies par Robert Dilts[2].
Description de la grille des niveaux logiques
A l'origine, le concept des niveaux logiques d'apprentissage et de changement était présenté en tant que mécanisme dans les sciences comportementales par l'anthropologue Gregory Bateson, qui s'est appuyé sur les recherches de Bertrand Russell[3] en logique et en mathématiques. Bateson note que dans toute démarche d’apprentissage, de communication, de changement, il existe des classifications d’informations qui nous renseignent sur ce qui a de l’importance pour l'apprenant. Cette analyse sera reprise et approfondie par Robert Dilts, qui fut un étudiant de Bateson au milieu des années 70. Dilts explique qu’il est important de respecter ces classifications d’informations pour comprendre, non pas pourquoi ce qui se passe se déroule, mais en quoi cela sert la personne à ce moment précis (pour quoi cela se passe).
Comme la pensée est organisée de façon hiérarchisée, nous opérons donc à différents niveaux hiérarchiques[4]. En conséquence, les problèmes eux aussi peuvent être indexés à différents niveaux logiques. La grille des niveaux logiques[5] est un outil très puissant qui permet de diagnostiquer l’espace problème du demandeur du coaching. Initialement conçue par Dilts avec six niveaux différents (environnement, comportements, capacités, valeurs/croyances, identité, spirituel/transpersonnel), cette grille comporte aujourd'hui, selon les versions, de six à neuf voire dix niveaux ou espaces différents. Lorsque l’on écoute une personne qui a une difficulté (que nous soyons coach ou non d’ailleurs), la question que l’on doit se poser est « dans quel espace s’inscrit son problème ? » et du coup « à quel niveau demande-t-elle de l’aide ? ». Ceci sera particulièrement utile pour trouver le mécanisme de changement à mettre en place selon le niveau du problème. Autrement dit, cette grille, lorsqu’elle est maîtrisée, nous permet de savoir quoi faire quand.
Voici quelques exemples pour saisir intuitivement les niveaux différents que l’on repère dans l’exposé que fait un client de son problème. La problématique peut être liée à :
- L’environnement qui change (mutation, rupture, etc.).
- Des comportements : un employé casse par mégarde un appareil dont il a besoin pour travailler.
- Des compétences : un collaborateur, bien qu’ayant le diplôme pour occuper son poste, ne connaît pas le logiciel utilisé par la société qui l’emploie.
- Des attitudes : une personne se plaint de l’attitude des autres vis-à-vis d’elle parce qu’elle ne se sent pas écoutée et que les autres lui proposent toujours des solutions.
Des croyances : une personne n’essaie même pas une solution prescrite parce qu’elle n’y croit pas.
- L’organisation : c’est juste la façon dont les processus sont organisés qui génère le problème (un service marketing qui poste un même jour 100 000 mails avec un taux de réponse de 1% et un service commercial qui ne peut gérer que 100 appels va au-devant de problèmes de saturation selon le temps que l’on se donne pour répondre aux demandes).
- Des principes : quand l’une des grandes valeurs de l’entreprise n’est pas respectée.
L’expérience montre que différencier ces types de problèmes par une reformulation est très aidant pour le client.
Détails des différents niveaux logiques
Voyons maintenant dans le détail les différents niveaux logiques[6] de la grille de Dilts, dans sa « version déployée » :
- L’environnement : quoi que nous fassions, cela s’inscrit forcément dans un environnement précis. C’est le monde qui nous entoure, ses conditions physiques, les contraintes extérieures qui orientent nos réactions et répondent aux questions « où ? » et « quand ? » ? Quelques exemples d’éléments propres à l’environnement : le climat social, l’ambiance, les règles, le lieu géographique, la période, etc.
- Les comportements : ce que nous faisons pour agir sur notre environnement. Ils sont liés à nos actions et répondent aux questions « quoi ? », « quoi faire ? », « quoi mettre en œuvre ? ». Ils couvrent nos actes volontaires et involontaires, conscients et inconscients. Comme tout niveau logique d’un niveau supérieur a pour vocation de structurer le niveau immédiatement en-dessous (il s’agit là d’une des règles de fonctionnement de cette grille, voir infra), la question que l’on peut se poser est celle de savoir si l’on adopte les comportements adéquats pour modifier l’environnement dans le sens que nous souhaitons.
- Les émotions : Alain Thiry[7] suggère d’insérer en troisième niveau logique les émotions que le sujet éprouve lorsqu’il fait ce qu’il fait. Pour choisir la position des émotions dans le modèle, Thiry reprend la logique de Dilts en affirmant qu’un niveau structure le niveau immédiatement inférieur. Comme les émotions ont un impact sur nos comportements, elles occupent donc le niveau du dessus. Et comme les stratégies mentales ou méta-programmes (cf. niveau 5 ci-dessous) ainsi que les capacités (cf. niveau 4 ci-dessous) peuvent impacter les émotions, ces dernières se trouveront nécessairement au-dessus.
- Les capacités : il s’agit des compétences et savoir-faire que nous utilisons pour acquérir et mettre en œuvre nos comportements. Les capacités sont liées à la coordination de nos comportements et nous renvoient aux questions « comment faire ? », « ai-je les capacités pour… ? ».
- L’attitude : il s’agit des dispositions et attitudes mentales qui nous invitent à vivre l’expérience en répondant à la question « comment être ? ». Une attitude, dans ce contexte, est à entendre comme une pensée qui dure longtemps et qui est reliée à une émotion. Porter un regard sur l’attitude de l’autre implique nécessairement une inférence (décision sur la signification de nos observations), parce que nous n’avons plus de moyens de voir, d’observer, de constater. A partir de là, les niveaux logiques ne s’observent plus, ils sont invisibles parce qu’ils ne concernent pas les comportements. Nos attitudes mentales font référence à nos cartes intérieures et à nos stratégies que nous développons par l’expérience et par réactions émotionnelles face aux stimuli auxquels nous sommes soumis. Cela désigne le « comment je suis à l’intérieur ». Ce niveau-là n’est pas spécifié dans toutes les modélisations de cette grille. Néanmoins, il m’apparaît très utile de le spécifier parce qu’il rend compte de ce que la Programmation Neuro-Linguistique nomme les méta-programmes ou mode opératoires préférés du cerveau pour sélectionner l’information.
- Le niveau des valeurs[8] : c’est ce qui « mesure », « évalue » la réalité et sert de critère pour ressentir tel ou tel état interne. Elles peuvent être associées aux besoins de la personne. Cela répond à la question « Qu’est-ce qui est important pour moi, qu’est-ce qui a du poids ? ».
- Le niveau des croyances et convictions : les croyances sont des assertions pour lesquelles nous ne pouvons donner une justification valable pour tous. On identifie généralement trois types de croyances. Pour ma part, je les structure en cinq catégories :
(1) les croyances ouvrantes, positives, qui amènent le sujet à se donner des permissions qui l’aident à vivre de façon éthique, en harmonie, etc.
(2) les croyances neutres qui ne font ni mal ni bien à la personne qui les a (je crois que demain il fera beau !) ;
(3) les croyances limitantes dont nous avons parlé dans la série d'articles "ce qu'il est utile de connaître pour accompagner en coaching" et qui amènent le sujet à adopter des considérations négatives vis-à-vis de lui-même, les autres et le monde (fondements du Crapaud ou identité scénarique profonde selon la terminologie de Carlo Moïso) ;
(4) les croyances pathogènes qui conduisent le sujet à porter atteinte à sa santé : on dit parfois que la maladie est un processus corporel de changement lorsque la psyché de la personne ne veut pas changer ;
(5) les croyances mortifères, celles qui visent la destruction de soi, des autres et du monde (par exemple l’intégrisme religieux qui conduit au terrorisme). Ce niveau vise à répondre à la question « pourquoi tenez-vous à faire ce que vous faites et à adopter telle attitude intérieure ? ». A ce niveau, l’aide d’un thérapeute sera plus efficace que celle d’un coach.
- L’identité : elle est en lien avec la mission que nous sentons avoir et est reliée à la question « qui suis-je ? ». Cette question émerge de façon récurrente à différents âges de la vie. Généralement à l’adolescence mais aussi à la quarantaine pour une réorientation professionnelle, ou encore vers 50-60 ans pour réinterroger le sens de l’existence. Ces étapes ne constituent pas un problème en tant que tel mais une problématique, à savoir une dynamique de vie dans laquelle un tournant doit être négocié. Cela devient un problème lorsque les personnes s’identifient à leur problématique : une personne qui dit « je suis gros » et qui désire maigrir s’identifie à son problème et les régimes risquent fort d’être insuffisants car adopter un « comportement régime » ne pose pas la résolution au niveau où le problème se pose. De la même manière, l’adoption d’un Masque (par exemple le « gentil disponible ») qui se manifeste par des comportements de suradaptation, cache un manque d’affirmation de soi, de prise en compte de ses besoins, de l’expression de ses émotions. Ceci relève d’une question identitaire plus que de comportements. Il s’agit là d’une fausse identité que l’on peut se donner faute de mettre en œuvre des capacités qui permettraient d’adopter de véritables comportements (et non des comportements parasites) fondés sur des choix affirmés et ainsi être authentiquement soi-même. Selon les cas, le thérapeute ou le coach pourront intervenir.
- Au-delà de ces huit premiers niveaux, nous abordons celui de la spiritualité qui dépasse et coiffe l’identité. Ce niveau peut se définir comme un type de « champ relationnel » embrassant de multiples identités donnant forme à un sentiment d'appartenance à un système plus grand, au-delà de son identité individuelle. Autrement dit, à ce niveau-là, le sujet se considère comme faisant partie d’un tout plus large que lui-même, que ce soit sa famille, son pays, sa religion, l’univers, Dieu… La spiritualité fait référence à la façon dont nous sommes reliés aux autres (être relié correspond d’ailleurs à l’étymologie du mot religieux). A ce niveau nous atteignons une morale de l’engagement, un code personnel qui règle nos actions. Nos forces sont alors utilisées dans la perspective d’une cause, du bien commun, d’une transmission. Il arrive que ce niveau soit divisé en deux : la mission en niveau 9 et le niveau proprement spirituel et transpersonnel en dixième étage.
Règles de fonctionnement des niveaux logiques pour gérer la dynamique de changement
Connaître les règles qui régissent le fonctionnement des niveaux logiques permet de gérer le changement. Gregory Bateson[9] les explicite ainsi :
- Les problèmes relationnels et de communication sont généralement engendrés par une confusion de niveaux logiques. Si deux personnes se parlent à des niveaux différents, il sera difficile pour elles de se comprendre.
- Il est difficile voire impossible de résoudre un problème si on essaie de le faire à un mauvais niveau. Einstein ne disait-il pas : « la solution ne se trouve pas au niveau où le problème s’est posé » ?
- Les mécanismes de changement ne sont pas identiques d’un niveau à l’autre. Il faut donc choisir, parmi les différentes techniques possibles, celle qui est la plus appropriée au niveau où se situe l’espace problème.
- La fonction d’un niveau logique est d’organiser l’information, de synthétiser, d’organiser et de diriger les interactions du niveau inférieur. Par exemple, mes capacités déterminent le type de comportements que je vais adopter et mon comportement a une incidence sur mon environnement.
- Le changement effectué à un niveau induira automatiquement des changements dans les niveaux inférieurs. C’est ainsi que le sujet maintient la cohérence de sa carte du monde. Par exemple, une personne qui se place dans un état interne positif (niveau logique 5 des attitudes) pourra changer sa capacité à apprendre (niveau logique 4 des capacités) telle ou telle matière, par exemple une langue étrangère. Elle se croira capable de le faire et en éprouvera de la joie (niveau logique 3 des émotions). Cela va l’amener à adopter un comportement nouveau (niveau logique 2 des comportements), celui de s’inscrire à des cours, même si initialement elle pensait ne plus être en âge de le faire et changer d’environnement, en décidant par exemple de faire un voyage d’études dans le pays en question (niveau logique 1 de l'environnement).
- Par contre, si on introduit un changement à un niveau donné, les changements aux niveaux supérieurs ne sont pas garantis. Ils se produiront peut-être mais pas nécessairement. A titre d’exemple, apprendre une langue étrangère peut modifier la perception que la personne se fait de son identité mais pas obligatoirement.
- Conséquemment, la résolution d’un problème ne s’effectue pas au niveau où il se pose, mais de préférence à un niveau supérieur.
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Jérôme Curnier,
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[1] Robert Dilts (né en 1955) est un auteur, formateur et consultant américain travaillant dans le domaine de la Programmation Neuro-Linguistique (PNL) depuis sa création en 1975 par John Grinder et Richard Bandler.
[2] Gregory Bateson (1904 - 1980) est un anthropologue, psychologue, épistémologue américain. Influencé par la cybernétique, la théorie des groupes et celle des types logiques, il s'est beaucoup intéressé à la communication (humaine et animale), mais aussi aux fondements de la connaissance des phénomènes humains. Il est à l'origine de l'école de Palo Alto. Sources Wikipédia.
[3] Bertrand Russel, (1872 – 1970) est un mathématicien, logicien, philosophe, épistémologue, homme politique et moraliste britannique.
[4] « Le terme « hiérarchie » vient du grec hieros qui veut dire « puissant, surnaturel ou sacré » et arche qui veut dire « origine ». Cela suggère que les niveaux d'une hiérarchie s'approchent de plus en plus de la source ou de l'origine de ce qui est sacré ou puissant. Par conséquent, le terme hiérarchie s'emploie pour désigner toute série classée ou rangée par ordre d'importance. On parle donc d'une « hiérarchie de valeurs » chez une personne, ou de « réponses hiérarchisées » d'une machine. Il est effectivement sous-entendu que les éléments en haut d'une hiérarchie « viennent en premier » ou ont « plus d'importance » que ceux dans les niveaux plus bas ». Source Robert Dilts in « Etre coach », InterEditions
[5] La notion de niveaux logiques se rapporte au fait que certains processus et phénomènes sont créés par les relations qu'ils ont avec d'autres processus et phénomènes. Tout système d'activités constitue aussi un sous-ensemble à l'intérieur d'un autre système, qui lui-même est emboîté dans un autre système et ainsi de suite. Ce genre de relation entre des systèmes produit des processus qui sont situés à des niveaux différents du système dans lequel on est en train de fonctionner. Le langage, la structure de notre cerveau et nos systèmes sociaux illustrent cette différentiation de niveaux et constituent des hiérarchies ou niveaux de processus naturels. Ibid.
[6] On retrouvera un exemple d’application de questionnement construit sur cette hiérarchie de niveaux logiques aux pages 311 et suivantes. Cet exemple est élaboré pour questionner en coaching un manager et vise à formaliser la dynamique d’apprentissage du manager (« Etre manager, cela s’apprend-t-il ? », article rédigé par Philippe Régidor de Repère et Vision).
[7] Alain Thiry, « Les trois types de coaching, la PNL de troisième génération en entreprise et organisations », collection le management en pratique, Edition de Boeck.
[8] La plupart des PNListes rendent compte de ce modèle en associant valeurs et croyances. Je préfère pour ma part les séparer parce qu’elles ne sont pas identiques, notamment en matière de traitement : en coaching comme en thérapie, les croyances sont à revisiter pour être modifiées afin que la personne soit en relation plus efficace et apaisée avec l’environnement, les autres et elle-même. Le travail quant aux valeurs relève plus de la mise en œuvre d’une nouvelle hiérarchisation, pas d’une modification. Par ailleurs, il m’apparaît difficile de savoir ce qui est premier dans les niveaux logiques, les valeurs ou les croyances. Ici, je place les valeurs avant les croyances/convictions parce que ces dernières me semblent plus profondément inscrites encore que les valeurs. Je suis aussi le modèle de Palo Alto qui hiérarchise les valeurs et croyances de la même manière (valeurs plus profondes que les croyances). Nous le reverrons dans le troisième tome.
[9] Reformulation construite à partir du livre « Choisir sa vie » de Josianne de Saint Paul, InterEditions.