Accompagner le cycle de l’autonomie (6/7)

Un article de Jérôme Curnier
1 - La semaine dernière

La semaine dernière nous sommes rentrer dans le détail de l'accompagnement du stade de l'interdépendance au stade de la dépendance de niveau 2 et étudié les tâches qui incombent au manager et au coach pour faire croître l'autonomie de son collaborateur ou de son client...

Cette semaine nous allons voir comment faire appel au sens pour faciliter les passages d'une stade à l'autre de l'autonomie et nous ferons un parallèle entre le modèle de l’autonomie de Nola K. Symor, le manager situationnel de Blanchard, les identités managériales de V. Lenhardt et celles que j’ajoute (de « Responsable Transitionnel » et de « Responsable Compassionnel »), l’accompagnement de l’autonomie en coaching et de la terminologie bernienne (AT et TOB)

2 - Le recours au sens pour facilité la croissance de l'autonomie

Si l’on considère l’homme selon l’anthropologie qu’en propose V. Frankl (décrite dans la première partie du premier livre), la dynamique de l’être humain est celle de la quête du sens. Faire sens de l’existence aussi bien à un niveau élevé philosophique et noétique que de façon opérationnelle dans le quotidien est à la fois le moteur de l’être humain mais aussi ce qui lui donne l’énergie pour alimenter le moteur. Autrement dit, lorsque son besoin de signifiance n’est pas satisfait ou sous-alimenté, la personne tombe malade psychiquement puis éventuellement physiquement.

Dès lors l’autonomie d’une personne est conditionnée par sa capacité à faire sens puis donner du sens à sa vie professionnelle et personnelle, vis-à-vis de son intériorité et vis-à-vis des autres. Le sens que l’on trouve dans un engagement correspond au degré le plus élevé de l’autonomie. C’est ainsi que les rescapés de la Shoa sont souvent ceux qui ont su trouver et mettre du sens au cœur de l’absurde et de la bestialité de la violence. C’est en tout cas la thèse de l’approche Frankelienne (et qui a donné lieu à la démarche logothérapeutique).

Comme le passage d’un stade à un autre induit une certaine forme d’inconfort émotionnel, un deuil, autrement dit une crise de l’homéostasie identitaire, l’appel au sens va, selon la même dynamique psychologique de ceux qui traversent des souffrances innommables, faciliter les passages. Le passage par le sens va permettre d’accélérer le processus de croissance. L’accompagnant (qu’il soit manager ou coach) va pouvoir inviter la personne à réfléchir au sens qu’elle donne à ce qui lui arrive. Au travers de la psychoéducation de son client (explications et éclairages éventuels donnés sur la construction du sens, les stades de l’autonomie, l’homéostasie des systèmes, les émotions, les crises identitaires, etc.), le coach va pouvoir donner de nouvelles représentations du réel, des cartes du territoire plus adaptée à la situation.

2.1 - La place du sens dans l’autonomie

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Comme nous le rappellent les neurosciences, l’abondance de cartes mentales à la disposition de la personne va lui permettre de développer une plus grande souplesse face au réel et lui donner un éventail d’interprétations plus large. J’aime à faire la comparaison suivante pour expliciter cette notion de souplesse et de compréhension plus profonde : la connaissance du latin et du grec pour une personne dont la langue est issue de ces racines va lui permettre de comprendre avec beaucoup plus de finesse la construction de certains mots, leur sens, leur étymologie, etc. Mais cela va aussi plus loin : la compréhension des langues qui ont les mêmes racines est rendue plus rapide. Lorsque l’on sait par exemple que « comestible » en latin se dit « edulis », alors on comprend, même en ignorant le mot lui-même, que « edible » en anglais veut précisément dire « comestible ». Et chacun sait que la connaissance de cinq ou six langues différentes fait que la septième s’apprend beaucoup plus vite (je ne parle pas ici d’Aspergers tels que Daniel Tammet [Si vous aimez la poésie des nombres et les cerveaux d’exception, lisez « L’éternité dans une heure » de Daniel Tammet, Edition les arènes. Ou encore « Je suis né un jour bleu ». D. Tammet a été élu par un panel d’experts l’un des « 100 génies vivants » en 2007. Autiste Asperger, de nationalité anglaise, il parle plusieurs langues et vit à Paris.] qui a appris l’islandais en 48 heures !). Autre exemple : comprendre à la suite de V. Frankl que l’être humain vit une tension entre la dynamique psychosomatique et la dynamique noétique, la première visant la stabilité et l’homéostasie, la seconde cherchant à se rapprocher d’un sens plus élevé, cela permet de dire à une personne que son insatisfaction chronique ou que ses aspirations à plus de profondeur (ou plus d’autonomie) ne relèvent pas de lubies ni d’instabilité. Car ces éléments sont constitutifs de la nature humaine.

L’accès au sens ne va pas magiquement supprimer l’inconfort de certains passages étroits mais cela va les rendre moins délicats à gérer. La construction du sens va par ailleurs être l’occasion de renforcer sa motivation à d’aller de l’avant. Le coach veillera à écouter la logique interne de la personne pour entrer dans sa dynamique de sens et l’accompagner dans sa propre cohérence.

La croissance de l’autonomie étant un processus en spirale, il est naturel de se représenter le sens comme une colonne autour de laquelle l’autonomisation de la personne s’apparente à un escalier en colimaçon.

3.2 - La vision comme élément fédérateur de personnes ayant des degrés d’autonomie différents



Dans le cadre de l’entreprise dans laquelle cohabitent des personnes dont le stade de développement de l’autonomie n’est pas identique ; c’est alors la vision qui va jouer le rôle d’un pôle attracteur pour articuler les dynamiques différentes et de fédérer les énergies.

3.3 - Parallèle entre autonomie, identité managériale et management situationnel

Comme le montre le schéma ci-dessous, un parallèle peut être fait entre le modèle de l’autonomie de Nola K. Symor, le manager situationnel de Blanchard, les identités managériales de V. Lenhardt et celles que j’ajoute (de « Responsable Transitionnel » et de « Responsable Compassionnel »).



A l’étape de la dépendance, le manager se positionne le plus fréquemment en Responsable Donneur d'Ordres et dit à son équipe ce qu’il faut faire, le « Tell » de Blanchard. 

A l’étape de la contre-dépendance, le manager se positionne à la fois en Responsable Donneur d'Ordres (il maintient le cadre) mais doit très vite apprendre la posture de Responsable Ressource (en créant les conditions de faciliter l’accès aux ressources disponibles) et de Manager Transitionnel (en acceptant l’expression du ressentiment de ses collaborateurs en prenant de la hauteur sur la transition identitaire majeure). Il doit accepter de « vendre » ses idées (le « sell » de Blanchard). 

A l’étape de l’indépendance, le manager ne se positionne plus du tout en Donneur d'Ordres mais raffermit ses postures de « Responsable Ressource » et de « Manager Transitionnel ». Il négocie (le « negociate » de Blanchard) et passe un accord avec ses collaborateurs pour assurer la cohérence du système. 

A l’étape de l’interdépendance, le manager demeure « Responsable Transitionnel » et devient « Tuteur de sens » car il incarne la cohérence et le sens des démarches collectives. Il délègue (même terme chez Blanchard) l’opérationnel et part représenter l’entreprise ailleurs, auprès des partenaires, clients, fournisseurs.
Dès lors que l’équipe comprend intimement les démarches de leur patron et qu’ils ont vu qu’il avait joué le rôle d’agent du changement, il est clairement identifié comme « Responsable Transitionnel », chargé de préparer en continu aux perpétuels changements, il aide tout un chacun à faire du sens dans sa propre croissance et son positionnement identitaire professionnel, il est éventuellement là pour comprendre ce qui se joue dans la croissance humaine tout court et sait adopter une posture de « Responsable Compassionnel » pour aider chacun à s’unifier dans l’ici et maintenant. 

3.4 - Rapprochement de l’accompagnement de l’autonomie en coaching et de la terminologie bernienne (AT et TOB)

Fort de la définition de l’autonomie bernienne (conscience claire, spontanéité et intimité), je propose ci-dessous de rapprocher chacune de ces « compétences » aux différents stades que nous avons décrits. J’ajoute aussi les étapes de l’ajustement d’imago de groupe qui y sont attachés et les besoins du « système du moi ». A cet égard j’utilise la terminologie de Maslow (lorsque je fais référence au besoin d’auto-actualisation qui consiste au désir de se réaliser pleinement) et celle de V. Frankl (lorsque je fais référence au besoin d’auto-transcendance dans son acception de désir de participer à quelque chose qui nous dépasse).

Le schéma rend compte de ce que la conscience claire est la première capacité à se développer dès le stade de la dépendance jusqu’à l’interdépendance. C’est donc dans les deux premiers stades qu’elle s’affermit le plus et se stabilise à un fort niveau au stade de l’indépendance.

La spontanéité va débuter son développement plus tard, à savoir au stade de la contre-dépendance et s’affermir pleinement au stade de l’indépendance et de l’interdépendance.

Quant à l’intimité, elle est inexistante au stade de la dépendance, timide lors de la contre-dépendance, le travail consistant à supprimer progressivement les parasitages émotionnels et contamination, se développe lors de l’indépendance et se raffermit au stade de l’interdépendance.

Le dessin souligne aussi que chaque stade correspond à un niveau d’équilibre bien gardé par le système des rétroactions négatives et que le passage de l’un à l’autre génère une crise de l’homéostasie de la personne au plan interne et dans ses relations au plan externe.




 


Suite de l’article « accompagner le cycle de l’autonomie (7/7) »  
=> je présenterai le dernier volet de cette série d'articles. Ce sera l'occasion de voir comment accompagner la croissance de l'autonomie d'une équipe.



Accompagner le cycle de l’autonomie (5/7)
Un article de Jérôme Curnier