Accompagner le cycle de l’autonomie (7/7)

Un article de Jérôme Curnier
1 - La semaine dernière

La semaine dernière nous avons abordé comment faire appel au sens pour faciliter les passages d'une stade à l'autre et avons fait un parallèle entre le modèle de l’autonomie de Nola K. Symor, le manager situationnel de Blanchard, les identités managériales de V. Lenhardt et celles que j’ajoute (de « Responsable transitionnel » et de « Responsable Compassionnel ») et l’accompagnement de l’autonomie en coaching et de la terminologie bernienne (Analyse Transactionnelle).

Nous terminons ce voyage en abordant ici la façon d'apmliquer la démarche lorsqu'il s'agit d'accompagner l'autonomie d'une équipe.

2 - Accompagner la croissance de l’autonomie de l’équipe

L’accompagnement de la croissance de l’autonomie va s’appliquer à l’équipe mais va demander un montage théorique et pratique un peu plus élaboré que ce que nous avons décrit dans le cadre d’une relation individuelle entre manager / coach et collaborateur / client.

La terminologie utilisée pour décrire les quatre stades des dépendance, contre-dépendance, indépendance et interdépendance ne peut être exactement la même lorsque l’on parle de croissance de l’équipe. J’ai donc recours à la conceptualisation que B. Lecerf-Thomas a construite concernant les stades de développement d’équipe et je la superpose, comme elle le suggère elle-même, sur les stades de l’autonomie.

2.1 - Correspondance

Aussi aura-t-on la correspondance suivante :

Niveau individuel Niveau de l’équipe

- Dépendance Equipe à collaboration laborieuse
- Contre dépendance Equipe en concurrence interne
- Indépendance Equipe à coopération constructive
- Interdépendance Equipe à coopétition créative

On remarquera que le passage d’un stade à l’autre constitue une crise de l’homéostasie et exige donc un changement identitaire des acteurs les plus influents de l’équipe pour entraîner les autres (cf. Kurt Levin) avec un reparamétrage :

- des modes de pensée,
- de la façon de gérer les relations interpersonnelles professionnelles,
- du rapport que l’on entretient avec le leadership,
- de centration opérationnelle (contenu, processus, sens),
- des besoins et des valeurs. 
 
On retrouve ainsi toute la dialectique de la transformation intérieure lorsqu’il y a des changements extérieurs. Prenons maintenant le temps de décrire chacun de ces quatre stades pour en percevoir les spécificités, les nuances.

2.2 - Les spécificités de chaque stade d'équipe



Le premier temps de la dynamique du groupe est la « coopération laborieuse » : chacun est dépendant de sa technique et de son appartenance. Le groupe a peu d’expérience ou débute dans la culture projet. Dans cette configuration les acteurs sont :

- Fortement dépendant de la hiérarchie, le leadership étant avant tout institutionnel ;
- Centré sur le contenu ;
- Leur pensée est avant tout analytique ;
- Dans une recherche de stabilité
- Leadership institutionnel 
 
Le deuxième temps est la « concurrence interne » : Chacun est concurrent de ceux avec qui il faut coopérer, l’entité n’ayant pas su établir un consensus suffisant au sein de l’équipe de direction. Ce type de comportement à somme nulle est induit par le manque de structuration du travail en commun. A ce stade, on constate qu’émerge :



 
- De la concurrence interne
- Cette concurrence est utilisée pour nourrir des conflits récurrents ; notamment pour l’acquisition du leadership
- La pensée demeure analytique mais cette fois par tactique ;
- Chacun recherche à développer ses compétences.

Le troisième stade correspond à la « coopération constructive » : Chacun est indépendant mais reconnaît les intérêts de la collaboration par rapport à ses propres enjeux. La vision est partagée, mais les objectifs restent attachés à chaque métier. Il y a là un changement très conséquent :

 


- Les acteurs développent et manifestent un intérêt pour un projet commun ;
- Les processus organisationnels sont décrits et le leadership et les rôles sont pour la première fois négociés ;
- La pensée est à la fois analytique mais aussi systémique ;
- Le développement des compétences se tourne vers la maîtrise.

Enfin la « coopétition créative » (qui est une contraction des mots de coopération et de compétition, travaux de Nalebuff et Brandenburger) est l’ultime étape : chacun a du plaisir à être compétitif, au sens de la performance et de la compétence. Les acteurs sont le plus créatif possible pour l’intérêt de tous. La vision est partagée. Le groupe travaille dans une communauté d’objectifs et la coresponsabilité collective.





A cette étape :

- Les membres du groupe disposent d’une vision de la finalité collective et s’y conforment ;
- Les relations s’établissent en parité et le leadership se fonde sur la subsidiarité ;
- La pensée est d’abord systémique puis analytique ;
- Le développement est tourné vers l’innovation.


3 - Le passage d'un stade à l'autre

Il est important d’insister sur la dimension homéostatique de chaque stade et par conséquent la nécessité de déclencher une crise pour faire avancer le groupe. Or, les membres de l’équipe doivent, pour accéder au stade supérieur, accepter de renoncer à certains aspects confortables du stade précédent. En l’espèce,

Le premier stade de « collaboration laborieuse » est très instable car les conflits entre personne surviennent rapidement. Le passage à la « concurrence interne » (stade 2), est donc assez « naturel ». Néanmoins, ce passage n’évacue pas la présence de deuils à faire : d’un côté les managers vont devoir renoncer à leur croyance que tout va être prévisible ou que chacun est à même de toujours savoir ce qu’il veut, que la nature humaine n’est ni ambivalent ni ambigu ni paradoxale. Il s’agit de renoncer pour le chef au fantasme de la maîtrise. De l’autre côté les collaborateurs vont devoir renoncer au confort de leur propre passivité rendue possible par leur prise en charge par la ligne managériale. Le processus de responsabilisation face à ses résultats à produire va empêcher ce type de comportement passif. 
 
Pour passer de la « concurrence interne » (stade 2) à la « coopération constructive » (stade 3), le deuil portera, pour les collaborateurs, sur le bénéfice de la joute verbale, des comportements conflictuels, qui les dispensaient de toute forme d’initiative. Chacun au stade 2 faisait ses choux gras des idées des autres et pouvaient passer entre les gouttes. La combativité ainsi mise en œuvre ne servait en fait à rien car elle n’était pas réorientée vers la compétitivité de marché. Du côté des managers, ils bénéficiaient du confort d’être peu responsables des décisions prises ou à prendre. La logique du bouc-émissaire et des relations gagnant / perdant est à abandonner pour atteindre le stade 3 de la coopération constructive et l’appropriation d’un cadre de travail devient incontournable. 
 
Pour passer de la « coopération constructive » (stade 3) à la « coopétition créative » (stade 4), le deuil portera sur la toute-puissance que les managers pensent avoir en vertu de leurs compétences techniques vécues indépendamment de celles des autres. La relation de pouvoir du sachant est un aspect auquel il est délicat de renoncer. Car dans la coopétition créative les relations s’établissent en parité. Il faudra renoncer au contrôle en adoptant des comportements participatifs, aux rôles bien définis, aux prés carrés, aux prérogatives liées aux compétences et au pouvoir. L’enjeu du stade 4 sera en effet de créer les conditions d’une fertilisation croisée entre les différents acteurs du système. Les équipes projets fonctionnent au mieux lorsque les acteurs parviennent à atteindre le stade 4. 
 
Nota bene : le passage des stades 2 à 3 puis 3 à 4 sont critiques pour les managers. Le recours à des coachings est largement préconisé.

Le schéma ci-dessous reprend les principales caractéristiques de chaque stade.




Pour conclure cet apport que j'ai retravaillé sur la base des travaux de B. Lecerf-Thomas, la démarche d’accompagnement de la croissance des équipes débute par une évaluation de l’Homéostasie du système à accompagner. Puis il convient de travailler sur trois polarités qui portent sur l’art d’Apprendre à désapprendre les comportements dépassés relativement à la coopération afin d’en appréhender d’autres, porter un nouveau regard sur les éMotions pour les exploiter dans le sens du changement et enfin prendre en considération les Résistances (démarche que j’ai « acronymisée » HAMR) en travaillant spécifiquement sur :

- La capacité de décider des patrons, même s’il souffre de manque de visibilité ;
- Les paires de comportements inefficaces (telles que la bouc-émissarisation associée à la victimisation, la protection associée à la protection, la peterisation associée à la prématuration mis en évidence par J.A. Malarewicz dans son livre « Systémique et entreprise ») ;
- L’autonomisation psychique des acteurs pour qu’ils assument le stress de leur activité et ne succombent pas à de la délégation vers le haut de la pyramide hiérarchique. 
 
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Jérôme Curnier,



Accompagner le cycle de l’autonomie (6/7)
Un article de Jérôme Curnier