Accompagner le cycle de l’autonomie (5/7)

Un article de Jérôme Curnier
1 - La semaine dernière

La semaine dernière nous sommes rentré dans le détail de l'accompagnement du stade de l'indépendance au stade de l'interdépendance et étudié les tâches qui incombent au manager et au coach pour faire croître l'autonomie de son collaborateur ou son client...

Cette semaine nous reprenons la même démarche mais en l'appliquant au passage de la l'interdépendance à la dépendance de niveau 2...

2 - L’accompagnement du passage de l'interdépendance à la dépendance de niveau 2

2.1 - Le passage de l'un à l'autre

Nature de la situation : la personne a considérablement grandi et affermi son savoir-faire. A son tour, elle aspire à occuper une position de manager. Après avoir exercé son rôle de technicien, de spécialiste, de contributeur dans son équipe, elle endosse désormais la responsabilité de patron hiérarchique ou encore de chef de projet. C’est une mutation très conséquente que nous avons décrite sous l’angle des stades de développement du manager.

Elle est désormais dans un double lien hiérarchique : avec son supérieur en position basse et en position haute avec les membres de sa nouvelle équipe.

Relation psychologique : le jeune manager ou « manageon » comme le nomme V. Lenhardt développe sa capacité de prise en charge de son équipe mais du point de vue psychologique elle se sent plus ou moins « ok ». Elle a fait l’expérience de son « okness » inconditionnelle et de la puissance de la relation interdépendante mais elle ne sait pas forcément comment appréhender les membres de son équipe. 

J’inscris donc désormais la position de vie sur trois critères : 

- moi qui suis plus ou moins « ok », 
- mes homologues collègues de mon ancienne équipe qui sont « ok », 
- mes subalternes dont je ne sais pas très bien évaluer l’efficacité. Autrement dit cela donne la position (±,+,±)

Du point de vue de son autorité, soit le jeune responsable se positionne en « chefaillon » avec un management rigide et autoritairement technique, soit de façon un peu démagogique en patron sympa que je nomme le « mollasson ». Eventuellement il ne parvient pas à prendre les décisions qui sont nécessaires, ne sait pas poser les limites du terrain de jeu, etc. Il traite les questions en mode technique mais ne prend pas assez conscience des facteurs relationnels du travail. Son identité managériale est fragile et elle souffre éventuellement du complexe de l’imposteur.

La personne tente de se faire entendre et accepter, de se faire reconnaître dans sa nouvelle posture, mais n’est pas trop sûr de la façon dont il convient de s’y prendre. Elle tourne en boucle autour des aspects de compétences techniques. Je résume donc cette posture par l’expression « Ecoutez-moi ».

Le jeune responsable va devoir faire plusieurs deuils : d’abord celui du confort de la relation en parité avec ses collègues, de son niveau d’expertise, de la reconnaissance qu’il en tirait car ce qui l’a conduit à grimper jusque-là (sa compétence technique) n’est pas ce qui va le faire réussir dans ce poste managérial (selon le titre du livre « What got you here won’t get you there [Marshal Goldsmith et Marl Reiter, 2008, poche] »), du confort de ne pas avoir à prendre des décisions impopulaires. Simultanément elle bénéficiera de la satisfaction de disposer d’un pouvoir d’autorité hiérarchique pour que les choses soient faites, du confort de faire faire, de créer une équipe soudée autour de lui, etc.

Au niveau émotionnel, le « manageon » va devoir gérer une certaine solitude, l’indécision, la peur de se tromper, les tensions relationnelles qu’elle doit apprendre à gérer, mais aussi la joie d’une nouvelle forme d’autonomie.

Soulignons enfin que la personne ayant atteint le stade de dépendance de niveau 2 est en mesure d’être en relation aussi bien avec des gens qui n’ont pas son stade de développement que des gens qui sont plus avancés que lui, ce dont il n’était pas capable au stade précédent.

Le désir de ne rester qu’entre pairs propre au stade précédent est symptomatique d’un refus de se soumettre éventuellement à la loi de ceux qui n’ont pas atteint le même degré d’autonomie (c'est à dire qui n’ont pas le même parcours ni la même connaissance) et qui ont pourtant une position hiérarchique supérieure qui leur donne plus de pouvoir. Un des enjeux de ce stade est, pour le « manageon », d’apprendre à accepter sereinement la relation que l’autre lui impose en renonçant à le remettre à sa place de façon compulsive, ni à lui en vouloir. Le « manageon » n’est alors plus défini par la relation que l’autre peut lui imposer (ce qui est le cas de jeunes managers qui ont fait du développement personnel et professionnel et dont le responsable est moins conscient, moins développé ou « mal dégrossi »).

2.2 - Ce qu’il convient de faire en tant que hiérarchique vis-à-vis du « manageon »…

Le plus important est de « tutorer »le jeune responsable. Autrement dit de l’entourer et de lui manifester un soutien. Trop de jeunes managers se retrouvent dans des situations de prématuration qui sont longues à colmater par la suite si on les a laissés mariner trop longtemps dans des situations avec trop de contraintes. La protection qu’il conviendra de mettre est donc d’inviter le « manageon » à ne pas rester seul et à lui indiquer des lieux de recours. La permission sera de se faire aider ou de demander un coaching de prise de poste. Les entreprises qui sont les plus conscientes des risques de prématuration proposent fréquemment ce genre de support sur des périodes de trois mois généralement.

2.3 - Résumé visuel du passage de l’interdépendance à la dépendance de deuxième niveau



3 - Récapitulatif du travail du manager / coach pour faire croître l’autonomie

Toutes les étapes que nous avons décrites soulignent combien un agent du changement (qu’il soit coach ou responsable d’équipe) peut considérablement faciliter les changements de niveaux d’homéostasie individuel et collectifs, c'est à dire les passages d’un stade de développement de l’autonomie à l’autre.

3.1 - Frustrations de l'agent du changement ou du manager coach

L’agent de changement va vivre des frustrations fortes de natures différentes selon les stades de l’autonomie :

Au niveau de la dépendance, il va s’agir de donner de l’information et de dispenser de la formation. Charge lourde pour le coach. Pour favoriser le passage à la contre-dépendance, il mettra en place des protections (notamment celle qui protège les acteurs de leur refus éventuel voire incontournable) et une permission, celle d’autoriser les acteurs de dire non.

Au niveau de la contre-dépendance, il va falloir accepter de prendre des coups (accepter la contestation sans rejeter la personne). Pour le passage à l’indépendance, le coach mettra une protection majeure, celle de montrer que l’erreur n’entraînera pas le rejet ni la condamnation. La permission sera celle de prendre des risques et de s’autoriser à avoir peur.

Au niveau de l’indépendance, il va falloir accepter de vivre l’absence de relation apparente et ne pas « engueuler » la personne indépendante lorsqu’elle renouera la relation. Pour l’accompagné, il faudra qu’il comprenne qu’il est bon de rester en contact (reporting ou autre selon contexte). La protection sera de ne pas concevoir de ressentiment vis à vis de l’accompagné, la permission étant celle de partir. 
 
Au niveau de l’interdépendance, il faudra accepter que l’autre passe dans son Parent et accepter, en tant que coach, de rentrer dans la dépendance proposé par l’accompagné. Par cette acceptation, il y a validation par le coach du Parent du client. Symboliquement, c’est essentiel pour établir la parité.

3.2 - Résumé visuel des crises causées lors du passage d’un stade au suivant


 



Suite de l’article « accompagner le cycle de l’autonomie (6/7) »  
=> nous aborderons la semaine prochaine comment faire appel au sens pour faciliter les passages d'une stade à l'autre et nous ferons un parallèle entre :

- le modèle de l’autonomie de Nola K. Symor, 
- le manager situationnel de Blanchard, 
- les identités managériales de V. Lenhardt et celles que j’ajoute (de « Responsable Transitionnel » et de « Responsable Compassionnel »), 
- l’accompagnement de l’autonomie en coaching et de la terminologie bernienne (AT et TOB)
 

 


Accompagner le cycle de l’autonomie (4/7)
Un article de Jérôme Curnier