Que dire de notre irrépressible besoin de sens ? (2/2)

Un article de Jérôme Curnier


Introduction : sens et croyances, deux termes intimement liés

Comme nous l’avons vu dans le précédent article (épisode 1 : (3) Que dire de notre irrépressible besoin de sens ? (1/2) | LinkedIn), l’être humain est porteur d’un besoin irrépressible de sens, comme un marquage au tréfonds de lui-même de la responsabilité dont il est porteur devant sa vie.

Le but de ce nouvel épisode est de proposer quelques points de repère les liens entre le sens et les croyances que nous avons...

Les grands domaines de la quête de sens

Dans leur livre « Croyances et thérapie[1] », Christian Flèche et Franck Olivier soulignent que si les croyances sont innombrables, elles concernent des thématiques fondamentales qui peuvent se regrouper en quelques grandes catégories et qui sont identiques aux domaines qui exigent de notre part qu’on leur trouve du sens. Il s’agit de soi-même, de l’autre ou des autres, du monde, de l’avenir, de la vie et de la mort, de la santé et de la maladie, de Dieu et d’une façon générale de l’Au-delà.

La fonction utile des croyances qui sont associées à ces thèmes est de fournir des réponses à celui qui s’efforce de donner du sens à sa vie et qui vont impliquer ses comportements et ses ressentis face à ce qui lui arrive.

Le tableau ci-après associe des questions aux différents thèmes : 




 
Relation entre sens et croyances

Prenons un exemple simple de rapport à l’existence pour illustrer l’impact de nos représentations et croyances sur la façon de structurer nos activités et nos ressentis :

- Certains pensent que pour exister il leur faut payer un droit qui légitime ainsi leur présence sur terre. Ils dépensent alors leur temps et leur argent pour satisfaire cette croyance. La croyance pourrait être formulée ainsi : « il faut payer cher le droit de vivre ». Poussée à l’extrême et sans questionnement de cette croyance à l’aune du réel, celle-ci amènera probablement la personne à se ruiner la santé physique ou économique.

- D’autres considèrent que ce droit implique le devoir de faire quelque chose d’extraordinaire. Leur croyance pourrait être formulée ainsi : « il faut s’entrainer pour être le meilleur, le plus original, pour trouver du sens à sa vie ». Poussée à l’extrême sans questionnement, cette croyance fera que la personne se morfondra lorsqu’elle échouera ou ne bénéficiera plus des lauriers de ses réussites.

- D’autres encore pensent qu’ils doivent se mettre au service de leurs prochains en leur étant utile afin de donner du sens à leur propre existence. La croyance sous-jacente pourrait être formulée de la façon suivante : « si je ne sers pas autrui, je risque de mener une vie vide de sens », ou encore « tant que je ne me suis pas assuré que toutes les personnes qui dépendent de moi sont satisfaites, je n’ai pas le droit de profiter de l’existence ». Poussée à l’extrême, cette personne risque de s’épuiser et de subordonner sa joie à celle des autres.

- Enfin, il est une autre catégorie de personnes qui considèrent qu’elles ont le droit de vivre et d’expérimenter le bonheur du seul fait qu’ils sont sur terre, du seul fait que leurs parents leur ont donné vie. La croyance pourrait être formulée ainsi : « je suis sur terre de plein droit, je n’ai pas besoin de payer, ni de servir, ni même de légitimer quoi que ce soit ». Poussée à l’extrême, cette croyance pourrait aussi mener à une certaine forme d’égoïsme. Voire, si nous reprenons le besoin d’auto-transcendance de V. Frankl, à l’ennui. 

Comme nous le voyons, le sens que nous donnons à ce qui constitue notre existence n’est pas toujours très heureux et le rôle de nos croyances est conséquent.

Des formes différentes de sens : sens sain, non-sens, contre-sens, sens interdit, anti-sens

J’ai constaté par ailleurs dans ma pratique de professionnel de l’accompagnement mais aussi en tant que simple témoin de ce monde dans lequel nous vivons actuellement la présence de cinq types de sens. Je les résume rapidement :

- Le sens déclaré sain par la personne. Il provient de l’alignement qu’elle parviendra à mettre en œuvre entre sa raison d’être, sa cohérence et de sa direction, selon les termes que nous avons définis dans l’épisode 1. Dans l’acception de V. Lenhardt, le sens déclaré sain sera celui qui amènera la personne à maintenir un haut degré d’énergie par le truchement d’un objet d’amour, par le développement de sa capacité à relationner de façon nourrissante, mu par un rêve et une espérance chevillée au corps. Pour Emily Esfahani Smith, le sens qu’une personne donne à sa vie sera déclaré sain si cette personne a trouvé son lieu d’appartenance, qu’elle saura nommer ses valeurs et sa direction, qu’elle aura élaboré une identité narrative dense et qu’elle s’ouvrira à la transcendance. 

- Le non-sens : lorsqu’une personne est par exemple licenciée sans préavis et sans raison ou encore perd un enfant de façon prématurée, l’événement n’a fondamentalement aucun sens pour elle. Cela relève du traumatisme pur. Ce n’est même pas un contre-sens, mais une absence de sens tout court. Envisager immédiatement de redonner du sens à l’événement relève d’une certaine maltraitance, voire d’un déni qui se cache derrière une forme de stoïcisme. Transmuter un non-sens en événement signifiant exige force de caractère de la part de la personne et manifeste chez elle ce que Frankl a appelé une « valeur d’attitude » qui témoigne de la liberté de l’être humain aux prises avec la « triade tragique » (souffrance, culpabilité, mort). Considérer que la vie a un sens même si la sienne n’en a pas et que cela suffit en soi est un héroïsme ordinaire cher à V. Frankl (dont il a fait preuve lui-même en acceptant et en vivant les camps de la mort dont il est sorti vivant). 

- Le contre sens : il émerge à la conscience de la personne lorsque celle-ci expérimente quelque chose qui vient en sens exactement inverse à ce qu’elle attendait dans son existence et ce qu’elle cherchait à mettre en œuvre. Par exemple, quelqu'un qui a toujours pensé qu’il serait médecin, qui travaille en conséquence et qui ne réussit pas le concours d’entrée. Le travail de deuil passera vraisemblablement par la mise en évidence de cet événement comme étant à 180° de la dynamique de la personne. Les émotions de colère, de tristesse et finalement de désœuvrement devront alors être retravaillées pour permettre à la personne de s’en libérer. L’accompagnement de type coaching lui permettra d’abord de se sentir reconnu dans son processus émotionnel réactif, comme légitimé par le coach, première étape de toute évolution (comme le dit le dicton, « on ne peut pas quitter un pays dans lequel on ne s’est pas rendu », i.e. on ne peut pas faire évoluer ses émotions, autrement dit les quitter, sans les avoir accueillies pour ce qu’elles sont, sans les avoir faites sienne comme un pays que l’on visite). Le second temps consistera à comprendre que les émotions sont provoquées par la signification que le client donne à l’événement qu’il traverse, dans le cas présent celui d’un contre-sens. Un travail de réinterprétation du réel permettra alors au client de percevoir la « conversion du regard » qu’il doit engager, ce qui l’amènera à ne plus considérer l’événement douloureux comme un contre sens mais comme une simple péripétie à dépasser. Le changement de regard sera alors une pierre d’angle de l’élaboration d’un nouveau projet pour le sujet. 

- Le sens-interdit : je parle de sens interdit lorsque la personne est conduite à expérimenter une situation qu’elle s’interdit et qui pourtant est pleine de vie. L’emprunter pourrait offrir à la personne un surcroit de satisfaction voire de bonheur mais ses représentations, croyances et valeurs (ou encore la société dans laquelle elle vit) ne le lui permettent pas. Ce type de situation a donné lieu à de nombreux scénarii de film toujours salué par la critique (par exemple « Sur la route de Madison » de Klint Eastwood), quelle que soit d’ailleurs l’issue que choisit le personnage, dans lequel il vit un problème de conscience, autrement dit un conflit entre son désir et ses valeurs, que par ailleurs les croyances cimentent. Un tel événement dans la vie d’une personne donnera assurément lieu à une relecture et éventuellement un réajustement / révision de ses croyances et re-hiérarchisation de ses valeurs. 

- Enfin l’anti-sens : je qualifie d’anti-sens des événements tels que la Shoa et autres génocides ou encore le terrorisme aveugle dont la dynamique fondamentale est à chaque fois le choix de la mort, de la négation de la vie, sans que ce soit la vie elle-même qui s’éteigne (2). L’univers dans sa totalité tend à faire émerger et la vie et la conscience humaine pour en témoigner (nous en reparlerons dans le volume 5 de cette collection). En soi, c’est une direction spécifique et donc un sens spécifique. Lorsque quelqu'un choisit la mort pour les autres, quitte à en mourir lui-même, cela relève ni plus ni moins de la négation du sens de l’univers. C’est en cela qu’il s’agit ni d’un non-sens, ni d’un contre-sens, ni d’un sens interdit mais véritablement d’un anti-sens, d’un choix qui nie le sens de l’existence, son orientation fondamentale. 
 
Tout cela nous amène à dire que lorsque le sens que nous donnons au monde, aux autres et à nous-même devient non-sens, contre-sens, sens-interdit, anti-sens, il devient nécessaire de revenir à la source de nos croyances, de nos valeurs, de nos représentations, de nos connaissances… Cela d’autant plus que dans la réalité, nous faisons appel à ces croyances et ces valeurs de façon inconsciente dès que nous avons un choix à faire. Lorsque les choix ne s’avèrent plus pertinents, il est temps de considérer la façon dont nous les prenons et les croyances et valeurs qui les sous-tendent. Nous parlons alors de processus de développement personnel.

(1) Edition Souffle d’Or, 2007

(2) Cette notion d’anti-sens n’inclut pas la question philosophique et morale de l’euthanasie qui relève d’un autre débat.


Que dire de notre irrépressible besoin de sens ? (1/2)
Un article de Jérôme Curnier