Les masques pour cacher le crapaud ! (6/9)

Un article de Jérôme Curnier


Introduction

Nous avons vu la semaine dernière que le prince confronté aux quatre "I" de l'existence développe, devant l'absence de sens que ces agressions représentent, un ensemble de croyances qui limitent son potentiel. Ces croyances vont constituer une identité scénarique profonde de crapaud.

Or le crapaud ne peut se montrer en tant que tel dans la mesure où il risque de se faire rejeter par son environnement et donc les autres. Pour se faire accepter, il va développer une panoplie de masques.

Le masque ou l’identité scénarique sociale

L’attitude sociale habituelle, ce qui nous donne de la contenance devant autrui est apparentée au masque. Être dans le masque, c’est être en représentation. Le masque est la réponse à deux questions fondamentales :

- Comment puis-je employer les talents/savoir-faire de mon prince en restant acceptable pour mon entourage ? 
 
- Que dois-je cacher de mon prince pour ne pas être rejeté du monde ? 
 
L’aspect positif des masques que nous portons, c’est qu’ils permettent l’intégration sociale. Mais, simultanément, la personne peut en devenir dépendante, de façon d’autant plus profonde qu’en les portant, elle est gratifiée de signes de reconnaissance positifs de la part de son entourage.

Porter ces masques constitue alors une véritable aliénation, un parasitage dira-t-on. La personne ne peut plus les quitter, ce qui la prive de prendre le risque d’être elle-même. Elle va camoufler ce qu’elle pense, ressent, désire faire afin de s’assurer d’être reconnue, même si c’est au détriment de ce qu’elle éprouve concernant son identité profonde. Le port d’un masque repose donc sur une croyance de base qui consiste pour la personne à considérer que, pour être acceptable, elle doit être ceci ou cela, faire comme ceci ou comme cela.

L’entreprise est un lieu privilégié de distribution de masques pour les collaborateurs. Certains sont d’ailleurs très valorisés dans le monde professionnel : le travailleur, le décideur, le diplomate, etc. Par exemple, il n’est pas rare de constater que les membres d’une équipe attendent du leader qu’il adopte certains masques, celui de l’« homme solution », qui sait prendre de la distance, qui dispose d’une vision. Il s’agit sans doute des prémices des masques que les responsables se doivent de porter s’ils n’ont pas fait le chemin intérieur pour être cela. Il est important de comprendre qu’un beau masque n’est pas à confondre avec le prince. Si la personne joue au « prince
manager » au travers son masque, elle ne se sent pas tel pour autant ! Le masque permet aussi de cacher le crapaud, le vrai. Ce qui est fort utile pour ne pas être rejeté par son entourage.

D’instinct, nous savons si nous nous comportons de façon masquée, parce
que nous savons que le masque n’est pas vraiment nous-mêmes. Si nous
acceptons d’être sous le joug d’un masque, c’est par peur :

- de nous montrer autrement que ce que les gens attendent de nous ; 
 
- et de dévoiler notre crapaud pour éviter le rejet. 
 
Soulignons que pour l’extérieur, le masque a l’apparence de l’authenticité.
Mais il est rare que les gens soient vraiment dupes. Pour autant, il peut
être perçu comme authentique par la personne qui le porte lorsqu’elle n’a
pas suffisamment pris conscience d’elle-même ou travaillé sur elle-même,
qu’elle se connaît trop peu (ou qu’elle ne sait pas comment ne pas porter de
masque). Cette perception d’authenticité vient de ce que la construction du
masque est inconsciente.

Taibi Kahler, déjà cité précédemment, a développé le concept de mini-scénario
en Analyse Transactionnelle qu’il utilise dans le modèle psychométrique
« Process Communication Management » (PCM) dont il est l’auteur. Il précise
qu’en cas de stress, nous avons tendance à mettre des masques sous-tendus
par des croyances archaïques et qui se repèrent à des comportements
caricaturaux et stéréotypés… Nous les mettons en œuvre pour faire bonne
figure et sortir du désagrément généré par le stress.

Les messages contraignants ou drivers

Citons rapidement ces messages contraignants (aussi appelés drivers ou
mini-scenarii) : deux portent sur l’être et trois sur l’agir. Les drivers sont des
comportements développés dans l’enfance et qui nous ont permis d’obtenir la
satisfaction de besoin de reconnaissance et d’attirer l’attention.

Les cinq drivers ou messages contraignants sont les suivants :

- « Sois parfait » : lorsque la personne se sent stressée, elle va considérer qu’elle se doit d’être parfaite pour être acceptée, pour se sentir mieux et que la situation problématique se résolve. Une telle personne ne déléguera plus, ou focalisera sur ce qui ne va pas, adoptera un comportement perfectionniste et une tendance au surdétail lorsqu’elle s’exprime ; 

- « Sois fort » : dans ce cas, la personne pense qu’elle se doit d’être forte, de bloquer éventuellement ses émotions, de faire bonne figure, etc. En ne montrant pas ses faiblesses, la situation s’arrangera d’elle-même. Telle est sa croyance. Un comportement classique est de se retirer de la relation ou de la situation en se bloquant le diaphragme ou encore en adoptant des comportements abandonniques vis-à-vis des autres, dans l’idée qu’ils se débrouilleront bien seuls. Une telle personne a tendance à se disperser par manque de concentration sur une tâche et ne donne pas assez d’informations à l’entourage ; 

- « Fais des efforts » : dans ce cas, la personne va faire plus d’efforts pour résoudre le problème. Mais lasse d’en faire, elle aura tendance à ne plus penser par elle-même, à attendre que les autres fassent à sa place, en se défilant de son travail ou en le bâclant, voire à blâmer éventuellement ses proches si aucune aide ne lui parvient ; 

- « Fais plaisir » : sous ce message contraignant, la personne pense qu’en faisant plaisir à tout le monde, tout ira mieux et que son stress diminuera. C’est le fait de personnes qui ne parviennent pas à dire non, ni à défendre leur espace vital. Elles se suradaptent à la situation, soit en masquant les causes du problème, soit en répondant à des demandes qu’elles imaginent que les autres ont à leur encontre, en oubliant de vérifier ce qu’il en est. Le plus souvent, elles ne prennent pas de décisions fermes alors même que cela est nécessaire ; 

- « Fais vite » ou encore « dépêche-toi » : il s’agit là d’un message contraignant secondaire, généralement utilisé en complément d’un autre driver. 

Taibi Kahler ajoute que la croyance « cela ira mieux si… », laquelle est suivie de tel ou tel message contraignant, peut se décliner soit à la première personne du singulier/pluriel (« les choses iront mieux si je/nous… ») ou à la deuxième (« les choses iront mieux si tu/vous… »). Dans le premier cas, T. Kahler propose le terme de « Driver Enfant », dans le second de « Driver Parent ». Pour les personnalités dont les masques relèvent des « Drivers Enfants », elles se mettent en fait elles-mêmes sous pression, de façon un peu masochiste. Dans le cas des masques mus par des « Drivers Parents », la pression est mise sur autrui, dans une attitude persécutrice ou sadique.

Il ajoute que la mise en place de masques et l’adoption de comportements caricaturaux de stress proviennent de ce que la personne ne parvient pas à satisfaire ses besoins psychologiques. Et que l’abandon de ces masques et le retour vers le prince peuvent être menés en aidant la personne à :

- identifier ses besoins psychologiques ; 
 
- satisfaire ses besoins de façon positive plutôt que de ne pas le faire ou
attendre que les autres s’en chargent ; 
 
- se remettre en contact avec sa vision et sa perception du monde ou
encore sa façon de l’appréhender (selon les personnalités, le monde
sera perçu et appréhendé au travers du filtre des émotions, de la pensée
analytique, des valeurs, de la pensée imaginative, de l’action ou encore
de la réaction) ;

- utiliser son canal de communication privilégié (la pensée informative, la
bienveillance nourricière, la directivité efficace, l’émotion dynamisante
et ludique). Il s'agit là d'une compétence de communication que le manager 2.0 ou post moderne doit apprendre à maîtriser (nous y reviendrons !). 

 
Tableau des masques et comportements observables
en environnement professionnel (d’après T. Kahler)

Le tableau ci-après reprend les caractéristiques des masques « Enfants » et 
« Parents » ainsi que les comportements observables associés.



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Dans la suite de l’article, nous aborderons les liens entre le crapaud et les mécanismes qui conduisent la personne à rentrer en échec durable, jusqu'à endosser l'armure d'un héros de fer blanc pour montrer que tout va bien !

Et la semaine suivante, nous verrons quelles options sont possibles pour advenir à son identité de héros ordinaire mais authentique, celle d'être un homme debout qui s'assume sans mécanismes de défense abusifs.

A la semaine prochaine,

Jérôme Curnier.


Du prince blessé au crapaud ! (5/9)
Un article de Jérôme Curnier