Introduction
Rappel des épisodes 1 et 2 :
Ce qui constitue le fond d'écran des besoins d’accompagnement, aussi bien dans le champ privé que dans celui de l’organisation sont :
- d'une part les quatre types de ruptures irréversibles (écologique, économique, technologique, philosophique voire spirituelle),
- d'autre part le fait que notre société passe de la névrose à la dépression (selon le sociologue Alain Erhenberg) et que l'être humain est de plus en plus fréquemment confronté à une forme de vide existentiel (Frankl).
Dans l'épisode 3 de cette semaine nous abordons brièvement en quoi deux phénomènes accentuent encore ces besoins d'accompagnement. Il s'agit de l'accès démultiplié à l'information et par ailleurs la complexité grandissante de nos quotidiens hyperconnectés.
Hypermédiatisation, réseaux sociaux, accès démultiplié à l’information
Le magazine Clés d’août – septembre 2011 soulignait dans un de ses articles que les limites de notre vie privée reculaient de façon très forte, du fait du croisement entre ce que permet la technologie de l’information (Internet de façon générique, l’innovation étant dans ce secteur beaucoup plus rapide que notre capacité à l’intégrer intelligemment, et donc à légiférer) et l’évolution de notre rapport au risque. Notre tolérance au risque (de vivre ou de mourir, telle pourrait être la question !) a beaucoup diminué et nous acceptons un niveau de surveillance sans précédent.
Simultanément, on vit implicitement sous le règne du « je n’ai plus rien à cacher ». « nous utilisons les moyens de communication pour exprimer son désir « d’extimité », c'est à dire montrer des parties de soi jusque-là intimes, comme pour les faire valider par l’entourage, modifier son rapport avec les autres et prendre confiance en soi ». Tel est le propos du psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron[1].
Comme le rappelle la journaliste, auteure de l’article de Clés (p 50), la télévision a fourni un espace pour s’exposer de façon exponentielle depuis le début du XXIème siècle : si les « émissions confession » existaient déjà à l’époque des grandes luttes féministes, « on ne compte plus les programmes aux heures de grande écoute au cours desquels des volontaires se prêtent au jeu de la transparence quant à leur couple, leur sexualité, l’éducation de leurs enfants. Après la télévision, c’est Internet qui est devenu un formidable instrument de projection de soi… »
Une telle médiatisation des difficultés de certains ou encore la projection de soi dans une société où l’étalage émotionnel et le zapping informationnel sont de rigueur font probablement plus de tort aux démarches d’accompagnement authentiques qu’il n’y parait.
Mais paradoxalement, la culture où chacun place la distinction entre public et privé selon ce qu’il désire induit des besoins d’accompagnement encore plus grands. Ne serait-ce que pour donner ou co-construire des points de repères pour la conduite de sa vie professionnelle et personnelle dans une société qui semble les balayer dès lors qu’on les institutionnalise.
Le rapport à la complexité
Collectivement et individuellement, nous pouvons noter une prise de conscience voire une certaine intégration de la complexité[2] comme un élément incontournable de notre réalité et de notre rapport au monde. Le discours autour de la complexité se généralise, même s’il n’est pas toujours clair d’y trouver et d’identifier ce qu’il convient de faire, les croyances et représentations qu’il convient de développer, les comportements pertinents à adopter pour véritablement intégrer la complexité comme une donnée incontournable de la vie.
Rappelons rapidement à cet effet ce qu’il faut entendre par complexité. Dans le langage courant, on dira que quelque chose est complexe dès lors que l’on ne peut pas l’embrasser ni le comprendre d’un seul regard. Notons que l’on pourrait aussi bien le dire de ce qui relève du compliqué ! Mais c’est en analysant les caractéristiques de la complexité que la distinction se dessine par rapport au terme compliqué.
En premier lieu, le complexe relève du vivant. Il est donc dynamique, en mouvement, se réinventant en permanence. A contrario, le compliqué relève de ce qui est statique, même si nous n’y comprenons rien ! Il n’est pas vivant, il ne se réinvente pas.
De la dynamique vivante de la complexité découle donc des caractéristiques comme l’auto-organisation rendant le lâcher prise plus pertinent que le contrôle, l’ingouvernabilité rendant l’autonomie plus enviable que l’obéissance, l’incertitude et l’indécidabilité rendant l’expérimentation préférable à la planification, etc.
La pensée systémique nous donne des pistes d’action et de comportements résolutoires pour peu que ses principes soient intégrés, ce qui est rarement le cas ; tout simplement parce qu’ils ne sont pas enseignés dans une société qui vit encore dans la dynamique cartésienne et cela depuis plus de trois siècles.
Pour faire face à la complexité, le défi est alors de développer, comme aime à le rappeler V. Lenhardt, une « sécurité intérieure ontologique » qui permet à l’individu de prendre de la distance par rapport à ce qu’il ne domine pas, et surtout à ne plus s’identifier à ses propres incompétences, inconforts, souffrances. Cette distanciation implique la capacité chez la personne de placer du sens au cœur du non-sens apparent, voire de l’espérance en face de l’absurdité. Et pour ce faire, elle doit s’interroger sur des thèmes tels que son rapport à l’incertitude, ses systèmes de défenses psychologiques, sa culpabilité et autres aspects comme ses ambivalences[3], ambiguïtés[4] et paradoxes identitaires[5].
Si le chemin de la construction d’une sérénité ontologique n’est pas emprunté dans ces termes, il convient pour le moins que chacun apprenne à raconter et à se raconter ce qu’elle « voit ». En effet la complexité donne à voir le réel, non plus comme une image simple et stable, mais comme un système qui se construit, se réinvente et donc se raconte. Comme le dit Dominique Christian[6], « le récit opère un travail de suture, d’intégration et permet d’absorber les événements dérangeants ou incompréhensibles dans la trame du connu et du familier ». Or raconter, cela s’apprend !
En face de cette recrudescence des besoins d'accompagnement quelle pédagogie faut-il mettre en place et quels lieux devons-nous inventer pour qu'ils soient pris en compte ?
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Dans la suite de l’article, nous verrons qu'il convient donc de concevoir une approche de l'accompagnement globale qui maille développements personnel et professionnel et pallier les déficits de lieux d'apprenance.
Bonne semaine à vous,
Jérôme Curnier.
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[1] Auteur de « L’intimité surexposée » Ramsay, 2001.
[2] Nous renvoyons au livre de Dominque Genelot « Manager dans la complexité », Editions Insep, pour une description plus fine des éléments constitutifs de la complexité ; notamment les trois premiers chapitres. On pourra lire avec intérêt le livre de Marc Halévy « Un univers complexe » (Edition Oxus), ainsi que celui d’Edgar Morin « Introduction à la pensée complexe » (Edition Points).
[3] On dira qu’une personne est ambivalente lorsqu’elle souhaite quelque chose et son contraire.
[4] Par exemple, un terme est ambigu lorsqu’il y a plusieurs acceptions. Appliqué à une personne en entreprise, on dira par exemple que l’ambiguïté irréductible de tout collaborateur consiste à être simultanément un sujet en croissance et un objet de production.
[5] Voici un paradoxe de l’identité : être quelqu'un et aussitôt qu’on l’affirme, on ne l’est plus, on est déjà autre chose.
[6] Voir « Compter, raconter, la stratégie du récit », Dominique Christian, Editions Maxima, Laurent du Mesnil Editeur.