De quoi parle-t-on lorsque l'on évoque les croyances limitantes?

Un article de Jérôme Curnier


Introduction

Les professionnels de l’accompagnement, qu’il s’agissent des psychothérapeute ou des coachs, invoquent assez fréquemment le terme de « croyance » à propos de leurs patients ou clients lorsque ceux-ci rencontrent des difficultés à évoluer ou à dépasser un obstacle existentiel.

Ce terme me paraît à la fois galvaudé et simultanément riche d’une profondeur insoupçonnée. Le but de cet article est de proposer quelques points de repère sur cette notion.

La croyance comme processus qui va à l’encontre du doute

Comme le sens commun tend à dire qu’une croyance est une affirmation qui ne peut être vérifiée, il est alors normal de considérer que les croyances vont particulièrement être associées à ce qui relève du domaine religieux et du spirituel. Mais il serait réducteur d’en rester là. Nos goûts, nos comportements, nos choix, sont régis par des croyances d’autres catégories et touchent d’autres aspects de notre vie intérieure.

À bien y regarder, une croyance est le résultat de l’action de croire qui inclut quatre aspects bien distincts qui la rendent si puissante, à savoir :

- une certitude qui tient lieu de vérité, donc difficile à remettre en cause ;

- une confiance totale (donc une adhésion de « cœur ») dans ce qui est cru, notamment en vertu d’une expérience mais aussi des référents qui nous ont amenés à adhérer à cette croyance ;

- une fidélité qui nous engage dans la relation à quelque chose ou à quelqu'un qui nous définit ; 

- une stabilité face aux aléas de l’existence.

La croyance relève par définition d’un processus qui va à l’encontre du doute et, fréquemment, de la réflexion cognitive. La croyance exige le plus souvent une soumission de la volonté et de la pensée et engage tout l’être dans ces différentes dimensions cognitive, émotionnelle, comportementale, voire spirituelle.

Quelques histoires de croyances pour en comprendre la portée

Voici quelques histoires humoristiques qui mettent en lumière les différentes caractéristiques que nous venons de souligner concernant les croyances et la nécessité pour nous de les maintenir par souci de cohérence et de stabilité intrapsychique…

Le cadavre qui saigne[1] ! 

Un homme dans un hôpital psychiatrique est persuadé qu’il est mort et ne vit ni sur terre ni au ciel. Son thérapeute, cherchant à lui faire retrouver raison, lui pose la question de savoir si les cadavres sont susceptibles de saigner. Son patient lui répond de façon immédiate, en lui expliquant que comme les fonctions vitales sont interrompues, il ne pouvait en être ainsi.

Trouvant là la brèche dans laquelle s’engouffrer, le psychiatre propose donc à son patient de lui couper légèrement le doigt pour en avoir le cœur net. Après l’avoir piqué avec une aiguille, le patient voit poindre au bout de son doigt une perle rouge de sang. Et lui de reprendre immédiatement : « moi qui étais persuadé que les cadavres ne saignaient pas ! Maintenant je sais que les morts peuvent saigner ! »

Autrement dit, une habitude fréquente de notre cerveau est de corriger la « dissonance cognitive[2] » pour maintenir la stabilité et la cohérence interne de notre compréhension du réel. Ce qui nous amène à dire que « nous ne croyons pas ce qui est vrai mais nous disons que c’est vrai parce que nous le croyons. »

Le grand père dans la prise de courant 

Un jeune père de famille explique à Paul, son tout jeune garçon de 18 ou 20 mois, en lui montrant la prise de courant qu’il ne faut pas mettre les doigts dedans. Sinon il lui donnerait une fessée. La notion de fessée n’est pas claire du tout pour Paul mais il comprend aux sourcils froncés de son père que cela n’a pas l’air agréable ! Néanmoins, sa curiosité étant piquée au vif, il profite de l’absence de son père pour s’essayer à mettre les doigts dans la prise (comme il se doit !). Il associe alors la décharge électrique qu’il ressent à la fessée de son père. Le temps passe et Paul devient lui-même père de famille. Ayant vécu l’expérience de la prise électrique sans l’avoir revisitée en l’analysant a posteriori, il explique à sa fille Julie de 18 ou 20 mois qu’il ne faut pas mettre les doigts dans la prise de courant. Et il ajoute avec les sourcils froncés : « …Parce que dans la prise, il y a ton grand père et sa fessée fait très mal ! »…

Autrement dit cet exemple indique que l’élaboration de notre représentation du réel procède d’un double mouvement :

- L’enfant trouve une croyance qui fait sens pour lui dans ce qui est fait et dit par l’entourage. Il adhère au système de croyances qui est sous-tendu. 

- Il utilise sa propre réflexion enfantine, réelle bien qu’incomplète et manquant de recul critique sur la condition humaine. 

L’éléphant qui n’a pas grandi dans sa tête ! 

Un père de famille emmène son jeune fils au cirque. Le numéro avec les éléphants impressionne énormément le garçon. Il les voit soulever plusieurs personnes simultanément, porter des charges montrant combien les éléphants sont puissants, peut-être même un peu effrayants tant leur force semble potentiellement dévastatrice si elle n’était pas apprivoisée. Le lendemain, il demande à son père de retourner voir les éléphants, mais cette fois à la ménagerie pour les observer « de près ». Un des éléphants est dans un enclos attaché à un pieu en bois. Le fils s’étonne de ce que l’animal reste ainsi attaché et ne tire pas sur la corde pour se libérer de sa longe et profiter plus amplement de l’espace qui lui est imparti. Il s’en confie à son père qui lui répond : « lorsque ce n’était qu’un éléphanteau, le pieu tenait effectivement l’animal. Il n’était pas assez fort pour s’en détacher. Même si aujourd'hui il le pourrait, il n’a sans doute pas vérifié que c’était le cas. Il s’est donc habitué à la longe qui le tient, alors que celle-ci n’est pas plus solide pour lui qu’un fil de couture ne l’est pour nous ! »

Autrement dit, nos croyances agissent sur notre liberté et, dans ce cas précis, en définissent les contours limitants.  


Rapides points de repère sur les croyances – le tout en un clin d’œil !

Nos croyances sont issues de généralisations avec parfois des omissions et/ou des distorsions et se sont structurées dans un schéma en trois étapes :

1. on a construit une conclusion ;

2. issue de notre expérience (physique, émotionnelle et mentale) ;

3. qui donne précisément du sens à cette expérience…

Du fait de ces distorsions, omissions et généralisations, notre vie se trouve parfois très étriquée, ce qui pourra amener certains à se plaindre qu’ils vivent une « chienne de vie ». En anglais le terme chienne se dit tout simplement DOG. Voilà donc un moyen mnémotechnique simple à retenir : la vie est une « chienne » dès lors que nous la voyons un peu trop à l’aune de nos Distortions, Omissions, Généralisations, autrement dit à l’aune de nos DOG, ce qui a donné un acronyme devenu maintenant célèbre parmi mes étudiants !

Nos croyances codent le « terrain de jeu » sur lequel nous évoluons : qu’il s’agisse de nos permissions mais aussi des limites que nous nous fixons telles que nos interdictions et nos obligations. J’ai coutume de dire que nos croyances constituent les ingrédients de la boisson que nous buvons au quotidien : Interdits, Obligations, Permissions, ce qui donne l’acronyme « IOP ». Nous découvrirons progressivement dans cette partie que les croyances qui structurent nos « IOP » deviennent d’autant plus limitantes qu’elles sont plus conditionnées par nos « DOG ». En souriant j’ai coutume de dire que les croyances limitantes sont de véritables « DOG de IOP » !

Nos croyances impactent tous les aspects de notre vie ; certains affirment même qu’elles définissent la durée de notre propre existence ! En croyant ce que nous croyons, nous faisons des choix de vie et nous déterminons ce que nous vivons.

Nous avons des croyances sur le monde et l’existence, les autres, nous–mêmes, les rapports que nous entretenons avec les autres, lesquelles sont génératrices de réalités. 

- Nos croyances filtrent donc le réel : elles nous conduisent à accepter ou à refuser certaines choses.

- En fonction de nos croyances, nous sélectionnons les perceptions qui viennent les conforter et nous éliminons les autres.

- Autrement dit, nous collectionnons des preuves plus ou moins subjectives qui viennent étayer la croyance par des faits, la rendant ainsi indiscutable.

Comme les croyances structurent les raisons pour lesquelles nous faisons les choses, nous sommes par conséquent soutenus par elles au plan psychologique. Dans la plupart des cas, les croyances sont dites limitantes lorsqu’elles reposent sur des compréhensions erronées et limitées du réel. C’est en cela qu’il est utile de les revisiter.

Nos réactions face aux événements extérieurs sont aussi largement conditionnées par des croyances ou, pour le moins, par des représentations du réel que nous pouvons faire évoluer afin de grandir en liberté et en autonomie. Or ce n’est pas toujours aisé dans la mesure où les croyances sont le plus souvent acquises par notre éducation, normées par les sociétés dans lesquelles nous vivons et codifiées par la culture. Les revisiter demande du courage ; or parfois, lorsque se redonner de l’espace pour vivre est indispensable, cela devient incontournable !

[1] Cité par Robert Dilts dans l’ouvrage « Changer les croyances avec la Programmation Neuro-Linguistique », InterEditions

[2] Il y a « dissonance cognitive » dès que ce que je vois invalide ce que je crois.



Coaching de managers
Un article de Jérôme Curnier