Nous avons posé, dans le premier article de cette série, les bases philosophiques et théoriques de l'accompagnement de l'autonomie. Dans ce deuxième volet nous allons rentrer dans le détail du passage du stade de dépendance au stade de contre dépendance et des tâches qui incombent au manager pour faire croître l'autonomie de son collaborateur ou et au coach celle de son client...
2 - L’accompagnement du passage de la dépendance à la contre-dépendance
2.1 - La dépendance
Nature de la situation : dans la dépendance, nous sommes en présence d’une symbiose à trois niveaux de relation : la relation institutionnelle, la relation opérationnelle, la relation psychologique. De façon très simple (et non simpliste autant que faire se peut) l'Analyse Transactionnelle conçoit la symbiose fonctionnelle par un système relationnel dans lequel un des protagoniste se mobilise exclusivement dans ou deux des trois Etats du Moi et l'autre dans les Etats du Moi complémentaires, sans qu'aucun de deux ne parvienne à modifier cette mobilisation ni utiliser l'ensemble des Etats du Moi.
Regard sur la relation institutionnelle : dans l’acception transactionnaliste du terme, du fait de la hiérarchie et du contrat de subordination entre responsable et membres de l’équipe, la relation est structurellement symbiotique. Autrement dit le responsable est, du fait de son autorité hiérarchique, placé dans l’Etat du Moi Parent, lorsque le subordonné est relationnellement placé dans l’Enfant.
Regard sur la relation opérationnelle : dans le cadre des opérations et du travail, il est implicitement demandé à chacun de se mobiliser dans l’ensemble de ses Etats du Moi, ne serait-ce que pour favoriser la créativité (E), la capacité d’analyse (A), la responsabilité (P). Lorsque tous les Etats du Moi sont disponibles, sans considération de la relation hiérarchique, l’intelligence collective peut se développer.
Malheureusement dans l’entreprise, il n’est pas rare de constater que la relation symbiotique institutionnelle « transpire » sur la relation opérationnelle de sorte qu’une chaîne de relations fusionnelles s’établit entre chaque niveau hiérarchique. Les deux chaînes symbiotiques sont représentées par les schémas ci-dessous.
Relation psychologique : ces chaînes symbiotiques sont présentes parce que les personnes ne disposent pas d’un développement psychologique suffisant pour activer la relation opérationnelle avec l’ensemble des Etats du Moi. Comme nous l’avons vu dans la partie 4, c’est précisément ce que dénonçait aussi B. Lecerf Thomas comme l’un des problèmes majeurs dans les équipes : le manque de développement psychique des personnels pour assumer leurs responsabilités dans un contexte très mouvant. Au nom de la relation institutionnelle, la relation psychologique est souvent condamnée à demeurer à l’état de symbiose et ne peut évoluer vers un plus haut degré d’autonomie. La personne subordonnée s’identifie à son statut et ne peut advenir à sa propre liberté.
A l’état de dépendance, la personne manifeste ces trois symbioses à des degrés plus ou moins forts. Et ce n’est pas nécessairement négatif. Etre en symbiose saine permet la croissance car l’état symbiotique est incontournable, il est un stade de notre propre évolution. V. Lenhardt propose pour souligner l’aspect positif de l’état de dépendance de dire que la personne vit tel un « nourrisson ». Mais que le danger serait qu’elle y reste au point de se comporter comme un « paillasson » (ou dans une suradaptation soumise inadéquate), qui ne ferait que renforcer sa position de vie (-,+) qui conduit à la dépréciation chronique de soi et finit par devenir oppressive. On pourrait dire que dans cette adaptation, le subordonné ne peut opérationnellement et psychologiquement qu’adhérer à ce qui lui est proposé. Il aura une tendance à adopter des postures valorisées ou des rôles sanctionnés positivement par le supérieur hiérarchique en maintenant sa position en-dessous. C’est la raison pour laquelle on lui attribue le mot clé « Oui », voire « Oui, chef ! ».
2.2 - Ce qu’il convient de faire en tant que responsable ou coach lorsque la personne est en état de dépendance…
Pour bien comprendre la dynamique de la dépendance et l’accompagnement de ce stade, prenons le cas de figure d’un collaborateur qui rejoint une équipe : la personne qui prend son poste va, à bien des égards, être en situation de dépendance vis-à-vis de son responsable et des autres en ce qui concerne la connaissance des métiers de l’entreprise (« la Technique » du schéma de Fox), de sa culture (« l’Etiquette » du schéma de Fox), de la spécificité de la fonction (la fiche de poste), etc. Cette dépendance est saine, elle est authentique ; il ne s’agit pas là d’une dépendance pathologique (Celui qui serait en dépendance pathologique se placerait en position de victime dans le triangle dramatique de Karpman, se sentirait sans ressources, démunie, accuserait les autres de ses difficultés, etc. Cette personne-là n’aurait vraisemblablement pas été recrutée !)
La tâche du manager / coach consiste alors à faire travailler son collaborateur ou son client selon une démarche qui traite les besoins des trois Etats du Moi :
- L’Adulte du manager / coach fournit de l’information à l’Adulte du collaborateur / client. Nombre de managers imaginent pouvoir se contenter d’utiliser uniquement l’Adulte du collaborateur pour faire vivre la prise en main du poste…
- Son Parent Normatif rassure le collaborateur / client en mettant en place des protections, celle par exemple que ses erreurs ne seront pas « sanctionnées », au moins pendant un certain temps.
- Son Parent Nourricier offre des permissions, celle d’agir, de penser, de réussir.
Au niveau psychologique, accompagner une personne dépendante en entreprise sera très proche du traitement du complexe de l’imposteur : il faudra donc inviter la personne à se donner les autorisations pour qu’elle rentre dans une dynamique d’essais/erreurs. Ce n’est que via la conjonction d’informations, de protections et de permissions qu’elle contournera ses propres injonctions éventuellement inscrites depuis son enfance, injonctions du type « n’agis pas », « ne pense pas », « ne sois pas grand », « ne me dépasse pas », « ne réussis pas », etc.
Si on omet de « nourrir » un des Etats du Moi, lors de l’accompagnement d’un collaborateur en état de dépendance, la croissance se fera moins vite et la relation opérationnelle en équipe s’appauvrira avant même qu’elle n’ait pu se développer sereinement et profitablement.
2.3 - Le passage de la dépendance à la contre-dépendance…
Comme nous le signalions plus tôt, le passage d’un stade à un autre va s’accompagner d’une émotion particulière, d’un deuil à faire par les parties prenantes (collaborateur / accompagné mais aussi Manager / coach) et la nécessité de poser des protection et permission spécifiques.
Peu à peu le collaborateur / accompagné va se renforcer intérieurement et techniquement dans son job ; il va vouloir se libérer de la tutelle de son supérieur. Mais ses Etats du Moi ne seront pas suffisamment solides pour qu’il se l’autorise pleinement. Cette insécurité se manifestera par le fait que son Adulte considèrera que sa compétence est encore fragile, son Parent ne pourra pas pleinement assumer les conséquences des erreurs éventuellement commises, l’Enfant n’assumera pas de dire ce qu’il ressent vraiment. Autrement dit, la personne a besoin d’être encouragée et protégée pour avancer.
Il est essentiel que le manager / coach comprenne que l’étape de la contre-dépendance est incontournable pour advenir aux stades suivants. Sans quoi il ne prendra pas la peine de poser la protection et la permission adéquates pour faciliter le passage de cette porte étroite.
- La protection que le manager / coach devra mettre en place vis-à-vis de l’accompagné est la promesse que ce que ce dernier dira ne sera pas retenu contre lui. Autrement, que s’il se risque à braver « l’interdit » en adoptant un comportement jugé inadéquat par la hiérarchie ou l’entourage, il n’en subira pas les désagréments punitifs.
- Simultanément, la permission offerte au collaborateur / accompagné est celle d’affirmer son désaccord, de pouvoir exprimer un « Non » d’opposition [On constate que dans la croissance, la personne devra poser successivement trois « non » : un premier « non » oppositionnel », puis un « non existentiel » » et enfin un « non positionnel ». Pour plus de détails, voir le premier volume de ma collection "coaching Global" au chapitre 13 ]. Cela signifie donc que le manager / coach, lorsqu’il sera confronté à une telle expression ne devra pas réagir mais accepter cet état de fait, au moins dans un premier temps.
- Côté émotion, la personne sera prise en fait dans une forme de frousse qui se manifestera soit dans son corps (par des tensions, des maux de ventre, blocage musculaires, etc.), soit dans son élocution (propos très rapides ou au contraire hésitations, voix de plus en plus aigüe), soit encore dans ses comportements non verbaux (plissements de visage, rictus légers, etc.)…
- Ces émotions seront d’autant plus fortes que la personne aura peur de perdre et de faire le deuil de ce qui la sécurisait auparavant : la validation que les autres lui offraient, leurs signes positifs de reconnaissance, la prise en charge, le soutien de son entourage lié en partie au fait que ses comportements correspondaient à ce que l’on attendait d’elle (comportements adaptés ou suradaptés). A un niveau psychologique plus profond, passer du stade de la dépendance à la contre-dépendance, c’est enfreindre ses injonctions [Pour rappel, notons que les injonctions (au nombre d’une douzaine en Analyse Transactionnelle) ont une forme négative alors que les messages contraignants (drivers) définis par T. Kahler ont une forme affirmative] du style « ne prend pas de risque, ne réussis pas, ne sois pas plus grand que moi » et autres messages contraignants comme « fais plaisir », « sois fort en supportant de te taire », ce qui ne peut que générer de la peur et des conflits intérieurs et donc des émotions très contradictoires.
2.4 - Résumé visuel de la dépendance et du passage à la contre-dépendance
Le schéma suivant reprend les caractéristiques de la dépendance et le rôle du manager / coach qui lui est attaché ainsi que les protection / permission à poser pour faciliter le passage au stade de la contre dépendance.