Raffermir l'identité d'un groupe par le feedback groupal (1/4)

Une série d’article de Jérôme Curnier


En bref


Dans un contexte de transformation de la société, de nos modes de travail et de nos façons de relationner, apprendre à se donner du feedback est devenu un incontournable.

Les managers, les RH, les formateurs, les coachs sont généralement des habitués de cette pratique à titre individuel.

Or conduire ce même processus collectivement -ce que j'ai appelé le feedback groupal- est tout aussi essentiel : proposer un feedback à un groupe consiste à relier en une constellation ce que chacun a partagé à titre individuel comme autant d'étoiles. Cette pratique permet à chacun de prendre conscience de sa place et de son rôle au sein du groupe et conduit le groupe à affirmer son identité propre et donc à comprendre et se saisir de sa contribution spécifique au bien commun.

Dans cette série de quatre épisodes, je vais m'employer à expliquer la technique que j'ai mise au point pour permettre à ceux qui animent des groupes de conduire le feedback groupal.

- Dans l'épisode 1, je présente la vocation de ce processus
- Dans l'épisode 2, je décris la technique à utiliser pour ce faire
- Dans les épisodes 3 et 4, je présente des exemples réels avec les résultats obtenus en matière de dynamique de groupe

Vocation du processus

Dans une période de perte de points de repère fixes, de transition avec une modification intense des valeurs et des croyances collectives voire individuelles, nombreux sont ceux qui sont en quête de compréhension de ce qui se passe, d’apprendre comment ça marche et finalement de sens.

Il convient d’entendre, a minima, le sens dans la triple acception :

- De direction : vers où aller ?
- De signification : qu’est-ce que cela veut dire ?
- D’expériences incarnées et de sensations : ce que je vis m’arrive à moi et cela fait sens pour moi dans mon histoire, je peux en rendre compte dans mon corps, dans mes émotions, dans mon histoire et cela colore nécessairement le sens collectif dont je suis partie prenante. 

Chacun va chercher des partenaires dans la relation, pour l’aider à intégrer les différentes dimensions de ce qui est vécu, pour le nourrir d’options de compréhension alternatives, qui le sortent de ses enfermements voire lui redonne de l’espoir, pour augmenter la palette de choix à sa disposition et sa capacité d’agir.

En tant que « tuteur de sens », il importe que l’intervenant qui anime un groupe modélise un lien au réel qui redonne toute sa valeur à l’intuition raisonnée et qui, simultanément, respecte les différentes dynamiques dans laquelle la personne se trouve prise : celle de son environnement, celle de son entreprise, celle de sa position managériale (fonction) et enfin celle qui lui est propre (qui, elle-même, se scinde en dynamiques corporelle, émotionnelle, mentale, spirituelle). Chacune de ces dynamiques a sa logique, son « vocabulaire », sa cohérence de fonctionnement et s’articule avec les autres dans une danse systémique très complexe qu’il serait vain de vouloir maîtriser.

L’enjeu que nous nous fixons dans la mise en œuvre d’un processus de feedback groupal n’est d’ailleurs pas celui de la maîtrise, mais consiste à proposer un espace où l’on se risque à une interprétation du réel qui va permettre l’élaboration d’un lien entre :

- identité individuelle et collective, en vue de produire une cohérence et une certaine stabilité ;
- sens, en conduisant chacun à organiser ses expériences, notamment pour pouvoir s’orienter ;
- action, qui est un moyen direct de connaissance et d’expérimentation du monde.
Le questionnement collectif et individuel de nos représentations dans l’espace ressource que peut constituer l'analyse de la pratique managériale en groupe de responsables opérationnels, va immanquablement générer des doutes quant à nos compétences respectives et quant à la façon dont nous avons donné du sens à notre vie professionnelle (voire personnelle) jusqu’à maintenant.

Si nous considérons qu’il n’y a pas de hasard et que les événements ont, sinon un sens universel, une cohérence et une esthétique, chacun pourra jouer le rôle de « tuteur de sens », c’est-à-dire de celui qui propose un sens collectif rassemblant les contributions de chacun. L’idée est de donner une « photo Polaroid, instantanée » de l’identité du groupe, des problématiques qui s’y posent, de ses dynamiques internes, dans une cohérence d’un niveau logique supérieur, c’est à dire au-dessus du niveau où se posent les problèmes (individuels) éventuels.

La construction de sens étant constitutive de notre orientation individuelle et collective, il importe que chacun s’y exerce, en échappant autant que possible aux stéréotypes d’un sens packagé, préétabli, combinant des idées toutes faites, chargées de jugements qui prétendent réduire la complexité, ce qui ne ferait que maintenir nos schémas simplificateurs.

Si nous considérons, par ailleurs, que nous ne sommes pas séparés les uns des autres, que chaque groupe en tant que système forme un tout cohérent « à un instant t », nous pouvons, par le truchement de ce qui fait sens pour nous, proposer un sens collectif qui va renforcer la finalité du groupe, ses frontières et ses critères d’appartenance.

L’enjeu de cristalliser l’identité groupe et ses dynamiques du jour est, par conséquent, double :

1) raffermir les frontières, les critères d’appartenance, la finalité ;
2) développer en chacun la capacité de faire du sens, dynamique fondamentale de l’être.

À cet égard, Dominique Christian explique (dans son livre À la recherche du sens dans l’entreprise – Compter, raconter ? La stratégie du récit, Maxima, 1999) que les managers ont le devoir de développer une compétence de narrateur, de conteur, afin de donner du sens à ce qui arrive alors même qu’ils ont la responsabilité de compter, c’est-à-dire de relever les compteurs de l’action collective par rapport aux objectifs fixés.

C’est à l’issue de l’inclusion que ce processus est proposé. Il est au début animé par l’intervenant, puis progressivement relève de la responsabilité tournante de chacun selon « sa fibre, sa couleur ». Ce processus fait l’objet d’un véritable apprentissage pour les membres du groupe.

Dans cette démarche, le « tuteur de sens » va cristalliser la cohérence du groupe comme le photographe saisit l’instant magique de la lumière d’un paysage qui lui confère sa beauté et sa poésie ; il va synchroniser, par son regard, les intentions, les mouvements de chacun, qui constituent l’identité du groupe, voire son « mouvement d’âme » à l’instant du bouquet.

Il est d’ailleurs étonnant de voir combien l’inclusion est la signature de la journée, qu’elle est holomorphique de celle-ci, contenant tout en germe de ce que sera le reste de la journée, incluant des éléments de la dynamique globale de la veille et celle du lendemain. L’inclusion est comme une métonymie (la métonymie est une figure qui consiste à remplacer le terme propre par un autre qui lui est proche ou qui en représente une qualité (cause, possession, partie…) et qui a avec lui une relation logique. Par exemple : « voir une voile à l’horizon » est une métonymie de « voir un voilier ») possible de la journée.

Le feedback groupal va permettre de faire mémoire a priori de ce que sera la journée, conduisant à la prise de conscience que le temps n’est en fait qu’un espace de déploiement de ce que chacun, en s’écoutant mutuellement, aura plus ou moins saisi intuitivement, de façon immédiate, furtive, évanescente.

Le fait de donner à quelqu’un la responsabilité de verbaliser une phrase intelligible permettra de nourrir le cerveau gauche de chacun, lieu de stockage des cartes mentales (nouvelles idéalement) et des mots dont nous nous servons quotidiennement. Le bouquet groupal dans sa cohérence fait un lien kaléidoscopique du camaïeu de l’identité et de la dynamique de chacun.

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Suite de l’article « Raffermir l'identité d'un groupe par le feedback groupal (2/4)» 
=> je présenterai la technique qu'il convient d'utiliser pour le construire.  

 

Bonne semaine à vous,

Jérôme Curnier 


Accompagner le cycle de l’autonomie (7/7)
Un article de Jérôme Curnier