Raffermir l'identité d'un groupe par le feedback groupal (2/4)

Un article de Jérôme Curnier


En bref

Dans un contexte de transformation de la société, de nos modes de travail et de nos façons de relationner, apprendre à se donner du feedback est devenu un incontournable.

La semaine dernière, je me suis employé à présenter la vocation du feedback groupal, cette pratique permettant à chaque membre d'un collectif de prendre conscience de sa place et de son rôle au sein du groupe et conduit le groupe à affirmer son identité propre et donc à comprendre et se saisir de sa contribution spécifique au bien commun.

Cette semaine nous abordons la technique proprement dite de mise en œuvre...

Technique pour construire le feedback groupal

Préalable - protections

Proposer un sens collectif en tant qu’intervenant engage la responsabilité de ce dernier. Il convient de garder en mémoire que toute personne en position de leadership, qu’il soit technique ou non, est « un peu plus égal » que le reste du groupe. La valeur de ce qu’il dit va se charger du transfert (positif ou négatif) dont il fait l’objet de la part des participants. Autrement dit, la parole n’a pas simplement sa propre densité de sens, mais s’alourdit de la structure de la relation qui existe entre lui/elle et le groupe.

Pour peu que ce transfert soit positif, l’intervenant risquera potentiellement de se prendre au sérieux en constatant combien sa parole a été écoutée ! Cette parole n’a pas seulement la puissance de l’intuition dont on serait porteur par « grâce d’état » de tuteur de sens, mais elle relève aussi d’une technique précise que j’ai mise au point et qui s’apprend. Pour démystifier « l’inspiration », nous avons coutume d’expliciter assez rapidement au groupe (lors de la deuxième ou troisième rencontre) la technique que nous utilisons, afin de ne pas « sacraliser » ce qui est dit, ni « gouroutiser » l’intervenant qui l’exprime.

Je préconise, en tant qu’intervenant, de prendre pas mal de notes lorsque chaque participant s’exprime lors de l’inclusion, en restant au plus près des mots de chacun, véritable ascèse sémantique (afin de limiter les inférences que nous faisons, c’est-à-dire le jugement que nous portons sur ce que nous observons/entendons). On se servira de ces notes lors de l’explicitation du bouquet groupal.

Le feedback groupal comme une phrase de « régression linéaire » de propos.

L’image que je suggère du bouquet groupal est la suivante : ce qu’aura dit chacun représente comme un point dans un espace. À l’issue de l’inclusion, nous disposons donc d’un véritable tableau tachiste, un nuage de propos, chaque point correspondant à ce qu’a dit chaque participant. Si nous filons la métaphore du nuage de points, les statisticiens aiment à trouver des corrélations entre eux pour établir une modélisation. Si, par exemple, moyennent un modèle mathématique, nous établissons une étroite relation entre les montants investis en publicité et le chiffre d’affaires (CA) d’une entreprise, on saura exactement, en suivant ce que prédit le modèle, quel sera le CA si on augmente les investissements publicitaires de tel pourcentage.




La modélisation la plus simple que l’on apprend au lycée (la méthode des moindres carrés) est d’établir une droite (f(x) = ax + b) qui modélise la représentation du nuage de points en fonction de variables (les axes des abscisses et des ordonnées).

Faire un feedback groupal, c’est trouver la formule qui établit un lien entre ce que chacun aura dit, sachant que cela est exprimé selon des variables (contexte, histoire, intentionnalité)...

Commentaire : un nuage de points est une représentation de données dépendant de plusieurs variables. Il permet de mettre en évidence le degré de corrélation entre au moins deux variables liées. Le nuage de points peut être modélisé par une droite de régression.

Le nuage de propos sera modélisé par le feedback groupal, sous la forme de quelques phrases grammaticalement intelligibles par tous et d’un dessin (autant que possible).

L’intervenant, pour ce faire, rapprochera les propos qui se ressemblent pour tirer des tendances, mais aussi des dépendances, des relations de causes à effet, des influences (ce qu’a dit telle personne semble être influencé par ce que telle autre a dit), des répartitions plus ou moins homogènes, des propos qui s’écartent complètement des tendances qui s’expriment, des sous-groupes pouvant correspondre à l’application d’une loi normale (cette nature de propos revient tant de fois, c’est une « tendance lourde »).

Contextualisation

Soulignons que le sens que nous donnons d’un propos est très lié au contexte (présent), à notre histoire (passé), notre intentionnalité (futur) sans oublier nos états et mouvements internes, humeurs et autres affects, etc. Dans le cas du feedback groupal, le contexte sera fonction du lieu, de l’entreprise, de son marché, de la saison.

L’intentionnalité correspondra à la finalité du groupe, ce qui qualifiera grandement ce qui sera exprimé. Si je vais chez le médecin, je lui parlerai de mes problèmes de santé, pas de mon dernier week-end avec mes enfants ! Il est donc logique qu’il y ait un lien entre les propos et la vocation du groupe ! Mais les replacer dans la dynamique de la vocation de ce pour quoi le groupe se réunit ample et donc des perspectives dont la pédagogie se réclame. Certains éléments de cette pédagogie sont en effet hors du champ de conscience des participants. Les expliciter va élargir le champ des possibles pour le traitement des demandes.

Par exemple, les journées d'analyse de la pratique managériale constituent un espace dans lequel toutes les dimensions de la personne sont envisagées et mises en relation dynamique. Si quelqu’un vient à exprimer quelque chose de sa vie personnelle, ouvrant le champ (donnant la permission) à d’autres de s’y engager et qu’il ressort qu’un sentiment de gêne émerge, on pourra, dans le feedback groupal, donner un sens particulier à la gêne que l’on aura ressentiee t que l’on aura choisi de ne pas souligner immédiatement. On explicitera alors que c’est le lieu de mailler les différents domaines (vocation des journées d'analyse de la pratique) et que la gêne vient probablement de la présence d’une valeur éventuellement limitante dans ce contexte mais pas dans tel autre (celui de l’entreprise).

L’enjeu sera de montrer au cours du feedback groupal que le groupe a besoin d’apprendre à contextualiser ses valeurs plutôt que de les garder dans une pensée figée.

Dans la pratique, nous tâchons dans le bouquet groupal de :

- résumer en trois à sept tendances les propos partagés et donc de construire une phrase avec trois à sept mots pivots (cerveau gauche, présentation digitale) ;
- et, simultanément, de les présenter avec l’appui d’un dessin (cerveau droit, présentation analogique).

L’inclusion sera donc présentée comme une photo d’album (dessin) avec un commentaire en dessous (phrases et mots pivots).

Appel à des propos spécifiques


Lors de l’explicitation du feedback groupal, l’intervenant aura tout à fait avantage à faire appel à tel ou tel propos spécifique des participants. Cela renforce le sentiment d’importance des personnes concernées, les valorise et surtout explicite « factuellement » le propos que l’intervenant avance, lequel relève forcément d’une généralisation. La ramener à l’exemple spécifique permet aux participants d’identifier le cheminement d’abstraction fait par le « tuteur de sens ».

Métacommunication et travail d’intégration

Comme le statisticien qui garde à l’esprit que la corrélation entre des variables ne suffit pas pour établir une causalité entre ces deux variables (d’autres facteurs pouvant entrer en ligne de compte), l’intervenant n’affirmera pas que le feedback est « vrai » mais qu’il est l’expression à la fois de ce qui a été dit, du contexte, de la vocation du groupe, de ce qu’il a lui-même ressenti. En conséquence de quoi, tout un chacun est légitime dans l’établissement d’un feedback groupal.



Proposer un sens collectif conduit au dépassement du sens individuel, idéalement à son enrichissement. Néanmoins, il est essentiel de redonner la parole aux uns et aux autres pour un temps de métacommunication, afin que chacun puisse faire sien et poursuive le tricot ainsi commencé. Il s’agit alors d’un travail d’intégration de ce qui aura été dit.

Tous ces échanges ne sont pas vains, ils ne sont pas faits dans le vide dans la mesure où ils respectent profondément toutes les dimensions de la personne : physique, émotionnelle, mentale et éventuellement spirituelle.

Résultats obtenus


L’expérience que nous avons de ce bouquet ou feedback groupal est qu’il constitue un processus profondément apaisant et dynamisant pour les participants. Si le sens proposé est « envi-sageant » et non « dévisageant », la dynamique collective de résolution de problème va s’affermir, ce qui constitue un capital important pour la suite de la journée.

Les journées d'analyse de la pratique managériale en entreprise va être la chambre d’écho des paroles de la cité « entreprise » pour devenir la cité de la parole dans laquelle vont émerger de nouvelles formes de solidarité, de compréhension mutuelle voire de compassion, dont nos lieux de travail ont tant besoin.

Remarque complémentaire : pour ceux qui sont familiers de l'Approche Narrative et de ses outils, le feedback groupal emprunte finalement au processus de documentation qui permet de raffermir les fines traces des histoires préférées collectives.


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Suite de l’article « Raffermir l'identité d'un groupe par le feedback groupal (3/4)» 
=> je présenterai quelques exemples réels de feedbacks groupaux et l'impact qu'ils ont eu sur la dynamique collective du groupe.

  

Bonne semaine à vous,

Jérôme Curnier

Raffermir l'identité d'un groupe par le feedback groupal (3/4)
Un article de Jérôme Curnier