Mécanismes d'échec du crapaud et ses masques (7/9)



Introduction

Nous avons vu la semaine dernière que le crapaud, pour ne pas se faire rejeter par son environnement va se cacher derrière une panoplie de masques.

Nous abordons ici les liens entre le crapaud et les mécanismes qui conduisent la personne à rentrer en échec durable.

Liens entre crapaud et mécanismes d’échec de T. Kahler en Process Com

Lorsque le stress devient plus intense et que la personne ne parvient plus à répondre à ses besoins, le sujet adopte des comportements de plus en plus stéréotypés, et ses croyances limitantes s’exacerbent ; à tel point que cela peut en devenir dommageable pour elle-même et pour les autres. T. Kahler a qualifié ces comportements de « mécanismes d’échec » (ou « patterns d’échec »). Ils s’appliquent aussi bien dans le champ privé que dans le champ professionnel. Le crapaud prend alors un visage de plus en plus caricatural :

Soit sous la forme du masque geignard plutôt victime ; ce visage est indicatif de la position de vie « dominé » (-, +), c’est-à-dire : « Je n’ai pas de valeur, par contre, toi, tu en as. »



- En termes de comportements, celui qui est sujet à un message contraignant du type «fais plaisir » (auquel on associe la couleur orange) va se mettre à commettre des erreurs d’inattention, à oublier des choses importantes pour lui, à se blesser, etc. 
 
- En termes de comportements, celui qui est sujet à un message contraignant du type «sois fort » (auquel on associe la couleur marron ou vert selon les modèles) adopte un comportement totalement passif en s’évadant mentalement dans les étoiles, en étant ailleurs, en se coupant de ses ressentis, etc.  
 
Soit sous la forme d'un masque d’attaquant accusateur et persécuteur ; ce visage est indicatif de la position de vie « dominant » (+,-), c’est-à-dire : « J’ai de la valeur, par contre, toi, tu n’en as pas. »



- En termes de comportements, celui qui est sujet à un message contraignant du type «sois parfait » (auquel on associe la couleur turquoise) se met à surcontrôler, à tout vérifier une fois, deux fois, trois fois, etc. 
 
- En termes de comportements, celui qui est sujet à un message contraignant du type «sois parfait – Parent » (auquel on associe la couleur violette) adopte un comportement militant, en partant en croisade, en invoquant toutes sortes de valeurs, de causes à défendre, etc. 
 
Soit sous la forme d'un masque de blâmeur qui persécute. Il le fait tantôt à partir d’une position de victime, tantôt à partir d’une position haute méprisante. Dans le premier cas, ce visage est indicatif de la position de vie « dominant / dominé » (-,-), c’est-à-dire : « Je n’ai pas de valeur, mais toi, tu n’en as pas non plus, voire tu en as moins que moi ! » Dans le second cas, ce visage est indicatif de la position de vie « dominant » (+,-), c’est-à-dire : « J’ai de la valeur, par contre, toi, tu n’en as pas, voire vraiment pas ! » 
 



- Dans le premier cas, en termes de comportements, celui qui est sujet à
un message contraignant du type « fais des efforts » (auquel on associe
la couleur jaune) va se mettre à blâmer les gens, les événements, les
choses, la vie, le monde, etc. 
 
- Dans le second cas, en termes de comportements, celui qui est sujet à un
message contraignant du type « sois fort – Parent » (auquel on associe la
couleur rouge) se met à manipuler les gens, à les ridiculiser, etc. 
 



Des comportements désespérés du crapaud (lien avec les apports PCM de T. Kahler et scénario d’échec de É. Berne)

Plus les situations vont devenir inconfortables, plus le sujet va s’enfoncer dans son crapaud. Au point même d’afficher un visage désespéré… Questions existentielles et problématiques émotionnelles profondes vont émerger qui ne pourront être traitées en coaching mais relèveront de processus thérapeutiques. Il est cependant bien utile de les connaître pour le coach et même pour le manager. Identifier ce qui se joue est toujours préférable à l’ignorance, car la connaissance permet une meilleure adaptation à l’environnement.




D’après T. Kahler, chacun de nous porte en lui une question existentielle. Par exemple, concernant la capacité de travail dont fait preuve le personnage turquoise avec le message contraignant « sois parfait », on remarque une inclination naturelle à suivre des formations visant à prouver aux autres et à lui-même qu’il est compétent. Sa question existentielle sera donc : « Suis-je compétent ? » Travailler, se former, sont des moyens de répondre à cette question existentielle, autrement dit à l’injonction (l’ordre inconscient) qu’il faut être compétent et, plus directement, qu’il faut être parfait pour être digne d’amour et d’amitié, de confiance, pour être reconnu, avoir de la valeur, en un
mot être « OK »…

Voici les questions existentielles, les problématiques émotionnelles profondes
et les scenarii d’échec retenus par T. Kahler :

- Suis-je aimable ? (associé au driver « fais plaisir », couleur orange et aux besoins de reconnaissance de sa personne et à celui de stimulation sensorielle). La difficulté émotionnelle de ce personnage sera d’accéder à sa colère. Il retiendra sa colère pour ne pas être rejeté, au point de la retourner contre lui-même. Ce qui pend au nez de ce personnage, c’est la dépression nerveuse parce que, croit-il, personne ne l’apprécie vraiment, et que tôt ou tard il va lui arriver des ennuis. Il vit avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. D’ailleurs il déclenchera son anxiété en anticipant un événement négatif ; soit il ne fera rien pour l’éviter, soit involontairement il le provoquera en cherchant coûte que coûte à faire plaisir à tout le monde ! 
 
- Suis-je compétent ? (associé au driver « sois parfait », couleur turquoise et aux besoins de reconnaissance du travail et de la structuration du temps). T. Kahler a constaté que ce personnage ne laissait jamais venir
sa tristesse au point de ne plus la ressentir. Quelqu’un qui doit être parfait et compétent ne peut être triste. Mieux vaut être rigide. L’issue scénarique de cette personne, c’est l’épuisement professionnel. Le burn-out viendra d’autant plus vite qu’elle aura sans cesse repoussé à plus tard les moments de détente, de plaisir et d’intimité. Tel Hercule qui ne peut revenir chez lui tant qu’il n’a pas achevé ses 12 travaux, sa croyance limitante est qu’elle n’a pas le droit de s’arrêter tant qu’elle n’a pas fini ce qu’elle doit faire. 
 
- Suis-je de confiance ? (associé au driver « sois parfait – Parent », couleur
violet, et aux besoins de reconnaissance de ses valeurs, opinions). Le driver étant Parent, la question existentielle se retournera vers autrui : les
autres sont-ils de confiance ? Vraisemblablement pas… La problématique
émotionnelle profonde pour ce personnage est la peur. Impossible d’y accéder et de la reconnaître. L’issue scénarique de ce personnage, c’est la paranoïa. En repoussant aussi à plus tard le repos, il finit par croire, sans discernement, que le monde entier lui en veut et va se retourner contre lui. 
 
- Suis-je voulu ? (associé au driver « sois fort », couleur marron ou vert, et au besoin de solitude). Il y a derrière cela une peur viscérale de survie, son entourage ayant éventuellement intenté à son intégrité corporelle, psychique et émotionnelle dans son enfance. Ce personnage se coupe de ses émotions pour ne pas les ressentir et s’absente même de son propre corps. Sa problématique devient alors l’incapacité à se diriger par soi-même (manque d’auto-directivité). L’issue scénarique de ce personnage, c’est l’évasion mystique pour fuir la réalité. Son énergie baisse considérablement, il devient transparent, ne termine pas ce qu’il entreprend. Dans son for intérieur, il ressent qu’il ne peut obtenir ce qu’il désire le plus. Il est comme Tantale qui est emprisonné jusqu’à la taille et se trouve dans l’impossibilité d’atteindre la nourriture ou l’eau dont il a besoin. Alors autant ne pas avoir de besoin ! 
 
- Suis-je vivant ? (associé au driver « sois fort – Parent », couleur rouge, et au besoin d’excitation). La problématique émotionnelle est la peur d’être abandonné et donc l’attachement affectif devient difficile. Impossible de s’attacher durablement pour ce personnage. Pour rester en vie, il faudra demeurer en état d’excitation, au point même de prendre des risques inconsidérés. L’issue scénarique de ce personnage, c’est l’accident violent ou encore les addictions. Il pratique la fuite en avant pour échapper à la frustration. Il est persuadé que quoi qu’il fasse, il sera toujours coincé comme condamné à tisser sans cesse, telle Arachné qui a été transformée en araignée pour avoir osé défier Minerve dans une compétition de tissage. Alors autant s’étourdir ! 
 
- Suis-je acceptable ? (associé au driver « fais des efforts », couleur jaune, et au besoin de contacts humains). La problématique émotionnelle est l’incapacité à prendre soin de soi. Il y a un désintérêt pour soi qui amène ce personnage à se rejeter lui-même, soit de façon violente soit plus vraisemblablement par négligence et manque d’intérêt. L’issue scénarique de ce personnage, c’est l’abandon de soi, la rue comme domicile fixe. Cela ira d’autant plus vite que lorsqu’il prend des décisions, c’est très péniblement ; puis il les remet en cause pratiquement aussitôt. L’absence de cohérence devient rapidement très dommageable. Lui aussi, comme le personnage précédent, il se sent coincé dans son existence. Mais au lieu de s’étourdir, la personne se quitte et divorce d’elle-même.

Certains personnages cumulent les messages contraignants et les croyances limitantes profondes. Deux cas classiques sont identifiés en Process Com :

- le personnage « fais plaisir » (orange) et « fais des efforts » (jaune) échoue toujours juste avant d’aboutir. Tel Sisyphe, il pousse la lourde pierre vers le sommet d’une montagne. Lorsqu’il arrive presqu’au sommet, il glisse, la pierre retombe, et tout est à recommencer. Alors, pour faire plaisir, il recommence sans conviction, montre qu’il fait des efforts mais s’enfonce de plus en plus bas dans l’estime de lui-même ; 
 
- le personnage « fais plaisir » (orange) et « sois parfait » (turquoise). Il réussit ce qu’il entreprend mais ne s’en nourrit absolument pas. « Certes, j’ai obtenu ce que je voulais et alors ? » dit-il aux autres et se dit-il à lui-même. Il dévalorise sa réussite, non pas avec l’intention qu’on lui dise le contraire mais parce qu’il est convaincu qu’il a eu de la chance, ou encore que les objectifs n’étaient pas assez ambitieux. Cette figure se vit telle Cassandre qui a certes un don de prophétie authentique, mais qui est condamnée à ce que personne ne la croit. 

Will Schutz propose aussi un inventaire des comportements inefficaces des
personnes qui ne parviennent pas à satisfaire positivement leurs besoins et
qui succombent à des peurs archaïques. 

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Dans la suite de l’article, j'aborderai les mécanismes de défense formalisés par Will Schutz, ce qui constituent de nouveaux masques !

A la semaine prochaine,

Jérôme Curnier.




Les masques pour cacher le crapaud ! (6/9)
Un article de Jérôme Curnier