Le rapport que le "Prince" entretient avec le monde dans le modèle identitaire de la psychologie humaniste. (4/9)

Un article de Jérôme Curnier


Introduction

La semaine dernière, j'ai présenté les caractéristiques du "Prince" du modèle de la trilogie identitaire utilisé en psychologie humaniste.

L'objet de l'article de cette semaine est de comprendre que le Prince entretient un rapport avec lui-même, les autres, et d'une façon générale, le monde et la vie qui va structurer ses perceptions, ses émotions, ses ressentis, ses pensées et ses comportements.

Le prince et son rapport au monde – Tragédie et drame

Dès les premiers temps, le sujet interagit avec le monde pour réaliser son potentiel. Le monde offre en effet des ressources qui permettent au prince d’aller dans ce sens. Mais il est aussi source de blessures que Carlo Moïso (transactionnaliste décédé en 2011) a regroupées en quatre mots, chacun commençant par un « I ». Le prince va découvrir qu’il est victime de quatre « I » :

- L’Inadéquation de l’être humain : un « cavalier noir » montre au prince
que ce qu’il veut n’est pas ce qu’il obtient, qu’il doit sans cesse « se
corriger » pour pouvoir vivre dans ce monde. Les sentiments et émotions
qui émergent de cette inadéquation sont la gêne et la honte. 
 
- L’Injustice de la vie : certains obtiennent plus et mieux que lui, ou tout
simplement il souffre d’injustice objective… Cette injustice est susceptible
d’engendrer colère voire même rage chez le prince. 
 
- L’Imprévisibilité du futur : les traumatismes surviennent, inattendus, parfois irrépressibles… L’imprévisibilité génère peur et anxiété dans le cœur du prince. 
 
- L’Inéluctabilité : il va devoir faire des deuils (dont le nombre augmentera avec la vieillesse) jusqu’à la mort, inéluctable fin des êtres de ce monde. Ce quatrième « I » induit anxiété, chagrin, peine, tristesse, etc. 
 
Cette façon d’évoquer la « méchanceté du monde » peut sembler simpliste mais elle permet surtout de qualifier le propre de la condition humaine et de caractériser l’attitude que l’on adopte en face de ces quatre « I ».

Deux façons sont en effet disponibles pour penser la vie : la tragédie et le drame.

- Dans la tragédie, le destin de l’homme est lié à une puissance qui domine
la personne et sur laquelle elle n’a aucun contrôle. Dans cette perspective,
espérer est inutile. Les pièces de théâtre grecques de l’Antiquité puis du
XVIIème siècle, étudiées au lycée (Racine et Corneille principalement), ont
donné chair à des situations parfois abracadabrantes, reflétant cette
perspective déterministe. 
 
- Dans le drame, la personne a la possibilité de modifier son existence.
Aussi, le combat n’est-il pas vain. Le héros du drame n’agit pas sous
l’emprise d’une force extérieure mais selon sa volonté, quand bien même
elle serait conditionnée, limitée, incomplète, cabossée.
La psychologie humaniste et, par conséquent, les protocoles d’accompagnement qui en découlent, positionne son action dans le registre du drame et non de la tragédie…

Le prince blessé, résultante de la confrontation aux quatre "I"

La confrontation aux quatre « I » est délicate à intégrer pour le prince. Cela sera un chemin et parfois même un combat pour lui d’accepter cette incontournable
confrontation. Mais l’être humain dispose de nombreuses ressources et systèmes de défense – qu’ils soient physiques, psychologiques, spirituels – pour faire face à cette « méchanceté du monde ». 

 

Un point qui me semble important à souligner ici est le besoin de sens dont
chaque être humain est porteur : il va d’ailleurs être l’énergie motrice du travail
d’intégration de cette condition humaine.

Comme le rappelle Simone Pacot (ancienne avocate, elle travaille sur la Bible et défriche les liens entre le spirituel et le psychologique. Elle s’est spécialisée dans les démarches de guérison du cœur et a fondé l’association Bethasda®. Elle a formé une trentaine de personnes à sa démarche « l’évangélisation des profondeurs ».) ou encore Annick de Souzenelle (auteur et conférencière, ancienne infirmière anesthésiste, a fait des études de mathématiques, de théologie chrétienne orthodoxe et d’hébreu biblique. Elle poursuit depuis une trentaine d’années un chemin spirituel d’essence judéochrétienne, ouvert aux autres traditions. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages de spiritualité. Sa recherche s’inspire de la spiritualité cabaliste), si le combat est ontologique (c’est-à-dire qu’il est inhérent à l’identité, à la condition humaine), la souffrance, elle, ne l’est pas. Et cette réalité n’est pas toujours clairement identifiée. Le combat que mène l’homme peut être pacifique et consiste d’abord à transformer intérieurement et extérieurement la façon dont il se représente le monde et vit dans le monde. La souffrance vient souvent de notre incompréhension ou de notre vision extrêmement parcellaire des situations que nous avons à traverser. Elle vient aussi de confrontations à d’authentiques traumatismes dont il convient de « nettoyer » les conséquences émotionnelles.

La question du sens est la plus vitale de toutes les interrogations de l’existence humaine et les réponses diffèrent selon les âges : le prince blessé rencontrera immanquablement la révolte ou encore la résignation en face de ce qui peut être vécu comme une tragédie, plutôt que comme un drame.

Plus tard sans doute, la personne cheminera pour dépasser un premier niveau de lecture, pour donner un sens plus profond à cette confrontation. Ceci la conduira à une transformation intérieure, un approfondissement du sens de l’existence. Sur ce thème, les livres de Christiane Singer sont fort intéressants et nourrissants, apaisant souvent le cœur du « prince blessé » qui demeure en chaque être humain.

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Dans la suite de l’article, j'approfondirai le personnage du crapaud, ensemble des croyances limitantes du prince blessé.

A la semaine prochaine,

Jérôme Curnier.



Les différents personnages de la trilogie identitaire en psychologie humaniste et leur dynamique de fonctionnement (3/9)
Un article de Jérôme Curnier