Du prince blessé au crapaud ! (5/9)

Un article de Jérôme Curnier


Introduction

La semaine dernière, j'ai présenté le rapport que le Prince entretient avec lui-même, les autres, et d'une façon générale, avec le monde et la vie.

Nous avions vu que la confrontation aux quatre "I" (Inadéquation, Incertitude, Injustice, Inéluctabilité) que vit le Prince le blesse et que son besoin de sens reste parfois insatisfait au point d'engendrer des croyances limitantes.

Le crapaud ou l’identité scénarique profonde

Le prince blessé n’a pas de recul dans un premier temps. Il manque d’informations comme de capacités mentales pour analyser correctement les
situations. Le développement de sa conscience le conduit à des interprétations erronées, qui ont la particularité de ne s’élaborer qu’à partir d’elles-mêmes. Comme il est vital de donner du sens pour vivre (voir V. Frankl), le jeune prince élabore un système de croyances, de prévisions et prend des décisions parfois irrationnelles pour interagir avec le monde, les autres et lui-même… Par exemple, il peut décider qu’il est mauvais, ou que les autres le sont ou encore que c’est le monde en général qui est dangereux. C’est ainsi que s’élabore la personnalité du crapaud dont le modus vivendi repose sur la morale de la fable de La Fontaine Le Corbeau et le Renard : « le corbeau jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus ! »…


 

Le propre de ces croyances, c’est qu’elles deviennent limitantes car elles sont
archaïques (c’est-à-dire forgées de façon précoce et donc avec peu d’éléments)
et conséquemment mutilantes quant à la perception ou la conception que l’on
se fait de soi, des autres et du monde. Elles résultent de la quête primitive de
sens que met en œuvre le prince blessé. Elles se rigidifient dans le temps car
elles ne sont pas remises en cause par la confrontation au réel…

Exemples de croyances limitantes

Voici deux exemples très simples qui donnent une représentation de cette
absence de confrontation avec le réel, en maintenant les croyances comme
des réalités avérées.

- Un père de famille emmène son jeune fils au cirque. Le numéro avec les éléphants impressionne énormément le garçon. Il les voit soulever plusieurs personnes simultanément, porter des charges montrant combien les éléphants sont puissants, peut-être même un peu effrayants tant leur force semble potentiellement dévastatrice si elle n’était pas apprivoisée. Le lendemain, il demande à son père de retourner voir les éléphants, mais cette fois-ci à la ménagerie, afin de les voir « de près ». Un des éléphants est dans un enclos attaché à un pieu en bois. Le fils s’étonne de ce que l’animal reste ainsi attaché et ne tire pas sur la corde pour se libérer de sa longe et profiter plus amplement de l’espace qui lui est imparti. Il s’en confie à son père qui lui répond : « Lorsqu’il n’était qu’un éléphanteau, le pieu tenait effectivement l’animal qui n’était pas assez fort pour s’en détacher. Aujourd’hui, il a sans doute la force nécessaire pour s’en libérer, mais il ne l’a pas vérifié par lui-même. Il s’est donc habitué à la longe qui le tient, alors que celle-ci n’est pas plus solide pour lui qu’un fil de couture ne l’est pour nous ! » Telle est la limitation que peuvent opérer nos croyances sur notre liberté. 
 
- Deuxième exemple un peu plus farfelu : un jeune père de famille explique
à Paul, son tout jeune garçon de 18 ou 20 mois, en lui montrant la prise de
courant qu’il ne faut pas mettre les doigts dedans sous peine de recevoir
une fessée. La notion de fessée n’est pas vraiment claire pour Paul, mais il
comprend aux sourcils froncés de son père que cela n’a pas l’air agréable !
Néanmoins, sa curiosité étant piquée au vif, il profite de l’absence de son
père pour s’essayer à mettre les doigts dans la prise (comme il se doit !).
Il associe alors la décharge électrique qu’il ressent à la fessée de son
père. Le temps passe et Paul devient lui-même père de famille. Ayant
vécu l’expérience de la prise électrique sans l’avoir revisitée en l’analysant
a posteriori, il explique à sa fille Julie de 18 ou 20 mois qu’il ne faut pas
mettre les doigts dans la prise de courant. Et il ajoute avec les sourcils
froncés : « …Parce que dans la prise, il y a ton grand père et sa fessée
fait très mal ! ».

Le crapaud s'élabore dans un double mouvement 

Ce second exemple indique que l’élaboration de l’identité du crapaud procède d’un double mouvement :

- l’enfant trouve une croyance qui fait sens pour lui dans ce qui est fait
et dit par l’entourage. Il adhère au système de croyances qui est sous-entendu ; 
 
- il utilise sa propre réflexion enfantine, réelle bien qu’incomplète et
manquant de recul critique sur la condition humaine. 
 
Une personne se sent « crapaud » quand elle éprouve un sentiment de toute puissance ou de toute-impuissance, un sentiment de désespoir, de la haine pour soi ou pour l’autre. Le comportement du crapaud est reconnaissable : il geint (victimisation), il accuse (persécution), il surprotège (sauvetage), il déprime, il boude, il est à la fois sadique et masochiste, il s’isole pour se protéger mais simultanément, sans s’en rendre compte, se prive des ressources relationnelles extérieures qui pourraient l’aider à s’en sortir.

L’Analyse Transactionnelle regroupe l’ensemble des croyances fondamentales
que nous avons vis-à-vis de nous-mêmes et des autres, sous le terme de
« position de vie ». C’est donc la position fondamentale qu’une personne adopte sur la valeur intrinsèque qu’elle s’accorde et qu’elle accorde aux autres. Cette position de vie nous sert souvent à justifier les décisions que nous prenons et les comportements que nous adoptons en rapport avec le monde.




La figure ci-dessus reprend les éléments caractéristiques des quatre positions de vie. Les abscisses représentent l’axe du MOI selon que l’on se considère sans valeur (axe des abscisses dans la partie négative) ou, au contraire, ayant de la valeur (partie positive des abscisses). Les ordonnées représentent l’autre
(TOI), selon qu’on le considère sans valeur (position négative à l’encontre d’autrui) ou bien ayant de la valeur positive (position positive à l’encontre
d’autrui). La position de vie est donc un couple de valeurs (abscisses/
ordonnées) qui traduit le regard que nous avons simultanément vis-à-vis de
nous-mêmes et des autres.

Selon l’Analyse Transactionnelle, la seule position de vie dans laquelle nous
ne serions pas empêtrés dans nos scenarii profonds (le crapaud), c’est-à-dire
dans une vision tronquée et limitante du monde, de soi et des autres, est la position dans laquelle chacun s’accorde de la valeur inconditionnellement même si chacun ne sait pas tout conditionnellement (quadrant supérieur droit).
Nous reviendrons plus précisément sur le traitement des croyances limitantes
dans le troisième volume de ma collection "Coaching global" (AFNOR) consacrée à l’accompagnement.
Mais je profite de cet espace pour proposer un pense-bête de sentiments et comportements scénariques classiques qui sont reportés dans les quatre positions de vie.


 


Deux remarques s’imposent :

- les sentiments/comportements situés dans le quadrant supérieur droit ne
sont pas scénariques puisqu’ils reposent sur une position de vie (+,+) ;

- les sentiments/comportements positifs (comme par exemple le terme
« généreux ») situés dans les trois autres quadrants sont à considérer, dans le contexte, comme scénariques puisqu’issus de positions de vie
« non ok ». 

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Dans la suite de l’article, je parlerai du personnage du masque dont une des fonctions est de cacher la laideur du crapaud.

A la semaine prochaine,

Jérôme Curnier.



Le rapport que le "Prince" entretient avec le monde dans le modèle identitaire de la psychologie humaniste. (4/9)
Un article de Jérôme Curnier