Le héros de fer blanc vs le héros ordinaire (9/9)

Un article de Jérôme Curnier


Introduction

J'ai abordé depuis plusieurs épisodes le crapaud (donc l'ensemble des croyances limitantes du prince blessé) et les masques derrière lesquels il se cache. Nous avons vu qu'il y avait différents cadres de référence (Analyse Transactionnelle, Process Com, Elément humain de W. Schutz) pour les présenter.

Dans cet article, nous allons voir les conséquences à terme de ces masques derrière lesquels le crapaud se camouffle...

Le héros de fer-blanc

Le prince, ayant rencontré les quatre « I », a peu à peu construit une conception du monde, de lui-même et des autres reposant sur des croyances limitantes. Il s’est plus ou moins enfermé dans un scénario profond (le crapaud) dont il cherche à se libérer. Faute d’y parvenir il a adopté nombre de masques qui le protègent autant qu’ils le maintiennent dans des répétitions comportementales, émotionnelles, mentales et cognitives non satisfaisantes. Avec le temps, ces masques lui collent à la peau de plus en plus et se rigidifient. Peu à peu, le prince finit par considérer que cette identité scénarique sociale qui devait masquer son crapaud constitue son identité réelle, son accomplissement, le bout du chemin.

Il y a un certain héroïsme à devenir ce chevalier à l’armure rouillée (Robert Fisher, Le chevalier à l’armure rouillée, Ambre Éditions, 2013), même si cet héroïsme est absurde. Car cette armure constitue une protection, non un accomplissement. Le modèle propose le terme de « héros de fer-blanc » pour qualifier cette identité non accomplie, terminus du chemin des rigidités.

Le chemin d'ouverture

Néanmoins, le modèle prince-crapaud-masque suggère et même affirme qu’à tout moment, la personne peut se détourner du chemin du renforcement des processus intrapsychiques d’échec. Le prince peut toujours redécider de porter un regard envisageant sur le réel plutôt qu’un regard dévisageant. Il peut changer et décider de passer par les étapes d’une reprise en main de sa vie, en reposant des choix fondamentaux d’autodétermination (à entendre dans l’acception qu’en a W. Schutz, résultat « opérationnel » d’une préférence de contrôle, c’est-à-dire d’avoir de l’influence sur soi et sa propre existence), en apprenant à regarder la vie, au pire dans une perspective dramatique, mais en refusant assurément la version tragique de cette affaire ! Le travail sur soi invite donc l’être humain à reprendre la responsabilité de sa vie, de son parcours, et à entrer dans une lecture de l’existence dans laquelle il devient «contempl’acteur» (selon l’expression reprise par Vincent Lenhardt) plutôt que le jouet des marées universelles.

L’approche orientale de la psychologie humaine est assez différente de cette vision occidentale et humaniste ; pour autant, l’invitation reste identique : emprunter le chemin de l’autonomie par la conscience de soi et la conscience de la réalité.

Alors que le chemin des rigidités avait fait grandir le « héros de fer-blanc », le chemin de l’autonomie qui passe par un juste amour de soi, conduit à l’homme debout, héros d’une humanité qui se tisse en lui. La personne autonome découvre et s’empare de son héroïsme ordinaire. La rigidité avait offert à la personne tout juste sa place, le chemin de l’ouverture lui ouvre sa juste place. Pour plus de détails sur l’accompagnement de l’autonomie, se reporter à l’épilogue dans le second tome de ce deuxième volume.

Les chemins de croissance des différents personnages du modèle

François Delivré finit la présentation de ce modèle en insistant sur les perspectives de croissance de chaque personnage. En effet, chacun d’entre eux est bien vivant à l’intérieur de nous-mêmes. Il ne s’agit donc pas de les combattre dans une logique de clivage mais de les faire évoluer pour les amener à converger vers l’unification de l’être. Chaque caractère du modèle a donc à se mettre dans un sillon d’apprentissage spécifique de la vie, sur les bancs d’une école d’évolution.

- Le prince doit apprendre la confiance pour ne pas craindre par anticipation la confrontation aux quatre « I ».


- Le prince blessé doit emprunter un chemin de pardon pour ne plus renforcer les croyances limitantes constitutives de ses scenarii sclérosants. C’est tout un programme pour la personne qui ne pourra faire l’économie du traitement émotionnel de traumatismes éventuels. Le pardon ne vient pas de l’oubli mais, entre autres choses, d’une perlaboration émotionnelle.


- Le crapaud, identité scénarique profonde, doit se mettre à l’écoute de l’amour pour expérimenter le chemin de la guérison.


- La personne doit apprendre à ne plus mettre ses masques en vue de camoufler son crapaud, mais à apprendre la juste diplomatie à l’école politique, en arborant ses masques pour le service de la facilitation desrelations. Il importe que la personne, lorsqu’elle les ajuste à son visage, nes’identifie plus à eux ni n’en fasse dépendre sa survie.


- Le « héros de fer-blanc », émanation des processus intrapsychiques de défenses et d’échecs, doit apprendre le renoncement à cette fausse placede choix qu’est celle du «chevalier à l’armure rouillée ».


- L’identité la plus aboutie, celle qui est issue du chemin de l’ouverture, se mettra naturellement à l’école de la fraternité, celle du partage. C’est après des cours accélérés en religions comparées que Marshall Rosenberg (CNV) dit avoir perçu l’importance de la notion d’amour, laquelle répond pour lui à la question : « Que sommes-nous et quelle est la signification de notre existence ? »



Conclusion

Nous voilà arrivé au terme de la présentation de ce modèle utilisé par la psychologie humaniste pour penser la dynamique d'accompagnement et de transformation de la personne.

Je finirai en soulignant que :

- Toute intervention de développement personnel (ou de parcours de développement professionnel centré sur la personne) permet d’ouvrir les niveaux du masque et du crapaud pour faire émerger l’énergie du prince ;


- L’énergie du prince est supérieure à l’énergie cumulée du crapaud et du masque. Cette dernière affirmation correspond en fait à une pratique clinique : la personne mobilise son énergie dans les « États du Moi » qui fonctionnent, et l’énergie est déficitaire voire inexistante dans ceux qui dysfonctionnent. Pour autant, la quantité globale d’énergie ne change pas. Tout l’art sera donc de créer un lien avec ce prince pour libérer l’énergie et les ressources de cette partie de la personne afin de l’aider à évoluer selon ce qu’elle souhaite.


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À la suite de cette série d’articles, nous aborderons une nouvelle saga en cinq épisodes : celle de l'accompagnement du deuil en coaching.

A la semaine prochaine,

Jérôme Curnier.




Le crapaud et les mécanismes de défense de Will Schutz : de nouveaux masques ! (8/9)
Un article de Jérôme Curnier