L'identité, ce qu'il est utile d'en savoir lorsque l'on accompagne en coaching (2/9)

Un article de Jérôme Curnier


Introduction

J'ai proposé la semaine dernière un rapide article sur l'anthropologie managériale afin de positionner le coaching professionnel dans une perspective globale et non comme un outil simpliste. Je poursuis cette réflexion en abordant aujourd'hui ce qu'il convient de connaître de l'identité pour accompagner dans le champ professionnel...

Le coaching, un processus pour sortir de ses difficultés professionnelles

La mise en place de la relation d’aide, et notamment du coaching, devient pertinente dès lors qu’une personne est confrontée à des difficultés auxquelles elle ne parvient plus à faire face ni à déployer ses ressources adaptatives. Devant des situations nouvelles ou trop complexes, elle se rallie à des modes automatiques de réponses inadéquates qui viennent réinterroger la façon dont elle se mobilise pour travailler, produire, résoudre les difficultés du quotidien, entretenir ses relations, etc. Or, ces confrontations deviennent d’autant plus douloureuses qu’elles la renvoient à ses désirs et aux moyens dont elle dispose (ou non) pour les satisfaire, à ses besoins et aux ressources qu’elle peut mettre en regard (ou non), à ses frustrations, ses comportements caricaturaux inefficaces de résolution de problème, ses refus, ses blocages et ses blessures, ses routines, ses images sociales, etc., autant d’éléments qui l’enferment potentiellement et qui ont trait à son identité.

Un prérequis pour le coach : connaître la nature humaine et disposer d'un appareil théorique relatif à l'identité

Entrer dans une relation d’aide vis-à-vis d’un « client en souffrance » exige
donc que le coach connaisse les ressorts de la nature humaine et puisse mener son client sur un chemin de travail identitaire. D’où la nécessité de pouvoir parler de la question et du développement de l’identité en essayant de la circonscrire dans la perspective du changement attendu.

De nombreuses sciences s’y intéressent

La réflexion de François Delivré constitue un apport extrêmement structurant
pour répondre à cette question de l’identité. Je me propose de reprendre sa pensée – ô combien ciselée en la matière – en la résumant et en la croisant avec d’autres aspects de mon expérience et de mon travail de recherches. 

La question consistant à savoir qui est l’Homme intéresse à peu près tout le monde, et c’est la raison pour laquelle de nombreuses sciences s’y consacrent.

En biologie, chercher des réponses à la question « qui suis-je ? », « quelle est mon identité ? », c’est focaliser sur l’ADN et le génome humain.

► Pour la philosophie, l’enjeu est de répondre à la question identitaire « comment est-ce que je sais que j’existe ? ».

La psychologie s’attache plutôt au « sentiment d’identité », ou cherche à définir des classes correspondant à des « types de personnalité » (souvent, en vue de faciliter les interactions entre personnes), dont les outils psychométriques se plaisent à rendre compte.

La sociologie s’intéresse à l’identité des groupes et des classes sociales.

La théologie cherche à savoir qui est « Dieu » ou le divin, et s’il y a des moyens de savoir qui est l’être humain pour Lui.

► J’ajoute enfin à la liste de F. Delivré la mystique qui se demande comment entrer en communication avec « l’Esprit », ce que certains nomment «le Souffle», l’essence même de la vie. On pourrait dire aussi que la mystique s’intéresse à ce qu’est l’âme et cherche à rendre compte du dialogue intérieur avec un « Au-delà » dont les contours ne peuvent être définis, puisque cela relève de l’inconcevable, l’indicible.

Autrement dit, les éléments constitutifs de l’identité sur lesquels travailler ne sont pas identiques selon que l’on regarde l’être humain sous tel ou tel angle : les aspects biologiques traitent de l’identité physique ; les aspects liés au caractère constituent l’identité psychologique ; l’identité intellectuelle est donnée par ce que nous savons, notre façon de raisonner, d’apprendre ; tout ce qui permet d’identifier une personne de l’extérieur (on n’en est pas maître) donne à voir l’identité sociale ; la fonction que nous avons en entreprise correspond à notre identité managériale ; l’identité culturelle est constituée de tout ce qui nous est commun entre membres d’un même groupe (on en est maître) ; on parlera aussi d’identité planétaire, d’identité spirituelle (thème abordé dans le cinquième ouvrage de la collection).

Or, l’ébranlement d’une des facettes de l’identité peut impacter toutes les autres ; et inversement les autres peuvent aussi épauler l’aspect qui se trouve en crise… D’où l’intérêt en coaching de travailler cette question.

Les lignes de développement de l’identité

Ken Wilber, dans son approche de la Vision Intégrale, rajoute quelques
angles supplémentaires pour regarder l’identité de la personne et son
développement.

La ligne cognitive et la prise en compte de ce qui est et dont nous
pouvons rendre compte verbalement et intellectuellement. Lorsqu’il
parle de développer cette ligne, il s’agit donc de travailler son identité
intellectuelle déjà citée.

La ligne morale : c’est le travail de développement de ce qui devrait être.
Lawrence Kohlberg a proposé un schéma de croissance de la conscience
morale de l’individu en montrant qu’il passe :
▼ de la pensée magique ;
▼ à l’intégration progressive de la punition en cas de désobéissance ;
▼ puis à l’hédonisme naïf ;
▼ suivi de près par la quête de l’approbation d’autrui comme étalon de la
morale ;
▼ cette quête étant suivie de l’intégration de l’ordre et de la loi ;
▼ pour atteindre ensuite l’émergence des droits individuels, lesquels
fondent les principes individuels de conscience ;
▼ puis rejoindre enfin les rivages de la conscience morale universelle et
spirituelle.

La ligne émotionnelle : il s’agit d’apprendre et de développer ses émotions, les comprendre, les apprivoiser, les analyser parfois, les canaliser souvent (ne dit-on pas, par exemple, que « maîtriser sa colère, c’est triompher de son plus grand ennemi10 ? »), de les utiliser aussi. On peut constater qu’actuellement, la société française monte en épingle ce type de travail,
voire en fait une « nouvelle religion ».

La ligne interpersonnelle : c’est le travail qui concerne la façon dont
on se comporte avec les autres, ce que l’on éprouve dans ses rapports
à autrui. Là encore, ce type de développement est très en vogue. Le film
Vice-Versa me semble en être un archétype, un héraut bien sympathique
(trop peut-être, dans la mesure où l’émotion y est magnifiée comme cause
et solution des problématiques de l’être…).

La ligne des besoins : Abraham Maslow est probablement l’un des
chercheurs les plus identifiés en la matière. Prendre en compte ses besoins
et pouvoir y répondre est un moyen indispensable pour nous mettre au
service des uns des autres et faire advenir « une société de l’empathie » (terme de Jeremy Rifkin). Lorsque certaines croyances empêchent de satisfaire nos besoins les plus fondamentaux, elles deviennent anxiogènes et même pathogènes (engendrant la maladie). On peut citer aussi des chercheurs et psychologues de renom qui ont travaillé la notion de besoins : Marshall Rosenberg (concepteur de la Communication Non Violente [CNV]), Taibi Kahler avec l’Appareil théorique de la Process Communication Management (PCM) et tant d’autres encore que vous connaissez sans doute…

La ligne de l’identité de soi : la croissance de l’identité passe par des étapes, comme le développement de la conscience que l’on en a. Et il ne peut y avoir don de soi sans le développement préliminaire de l’ego et donc d’une pensée égocentrée, puis d’une identification à son groupe, autrement dit le développement d’une conscience ethnocentrique. Ce n’est qu’après qu’émerge la conscience « mondocentrique » et, finalement, la capacité proprement humaine à l’oblativité, au don de soi.

La ligne des valeurs : la Spirale Dynamique montre comment les valeurs elles-mêmes se développent selon un schéma précis, dans une alternance de valeurs collectives puis individuelles. Nous aborderons cette question dans le quatrième volume.

La ligne psycho-spirituelle : depuis le milieu des années 1970, il s’agit là d’une tendance de fond, d’un désir de plus en plus partagé par l’Occident que de travailler l’harmonisation psycho-spirituelle. Les questions de la santé et de la guérison du cœur y tiennent une place centrale, le coaching spirituel et transpersonnel aussi. Nous y reviendrons…

La ligne esthétique : c’est la ligne de développement de l’art comme expression de soi, comme vecteur pour exploiter le symbolique qui transpire de la représentativité que l’on donne du réel. Véritable espace de rencontre entre un monde extérieur et un monde intérieur. Avec comme support le retour vers une certaine forme de gratuité, d’inutilité productive, mais aussi d’un véritable langage du cœur.

► Enfin, la ligne spirituelle qui traite de ce qui préoccupe une personne de «manière ultime». Fort de cette acception que j’emprunte à Ken Wilber, on peut affirmer que « tout le monde a une religion ». Là aussi, on constate que la ligne spirituelle à l’intérieur de tout un chacun connaît un chemin incontournable avec des étapes de spiritualité archaïque, magique, mythique, rationnelle, pluraliste, systémique, intégrale, et qu’après avoir eu une spiritualité prépersonnelle, la personne se développe autour d’une spiritualité personnelle puis transpersonnelle. Le quatrième volume abordera la question de savoir où nous plaçons « notre dieu12 » (c’est-à-dire à quelle altitude dans cette hiérarchie) et vers quoi tend notre dévotion (au-delà de notre dévouement).

Comme on peut le constater, l’identité est un univers fascinant qui connaît, comme on pourrait le dire de la médecine, un nombre très vaste de « spécialités ». Le rêve de beaucoup serait vis-à-vis de l’identité, comme autant d’astrophysiciens face aux quatre forces qui régissent l’univers, de parvenir à unifier la personne et son identité en une loi unique, une formulation monosémique et holistique. Pour l’heure et dans le cadre de cette collection, nous soulignons combien les protocoles d’accompagnement pour aligner ces différentes identités (à défaut de les unifier), ne sont pas identiques selon les niveaux de réalité que l’on souhaite traiter. Et simultanément qu’ils ne doivent plus être mis en œuvre de façon monolithique et exclusive.

Quatre paradoxes à garder en mémoire à propos de l’identité humaine

Revenons à la réflexion de fond de F. Delivré pour être en mesure d’accompagner la personne dans une démarche professionnelle (aussi bien en tant que coach qu’en tant que manager). Il souligne que l’identité se dit et se dévoile sous la forme de quatre paradoxes qui montrent à quel point cette notion est délicate, voire impossible à cerner.

Ces quatre paradoxes sont les suivants : 
 
1. la simultanéité de l’ unicité de l’identité et de sa diversité ;
2. celle de la permanence de l’identité et de son changement constant ;
3. le fait que notre identité nous est propre mais qu’ elle dépend simultanément d’autrui  ;
4. le constat que l’identité est à la fois un contenu et un processus.

Unicité et diversité

Nous cherchons dans la notion d’identité quelque chose d’unique, de spécifique,
mais en même temps, nous nous empressons de décomposer les identités
en plusieurs éléments. Car de nombreux aspects constitutifs de notre identité
« unique » sont par ailleurs communs à tous, donc universels. L’identité est à
la fois une catégorie et une individualisation. Or, nous voudrions être reconnus
dans notre « catégorie » de regroupement par souci d’appartenance et l’être
simultanément en tant que personne unique par besoin de reconnaissance
individuelle. Cette coexistence conduit le plus souvent à de la frustration et
parfois même à de la confusion en chacun de nous.

Permanence et changement

Au même titre que l’on ne se baigne jamais deux fois dans le même
fleuve (Héraclite), l’identité est « une », telle une rivière qui demeure, et,
simultanément, en évolution permanente, car l’eau qui y coule se renouvelle
à chaque instant. Du point de vue biologique par exemple, les cellules notre corps se renouvellent complètement tous les sept ans et pourtant, nous restons toujours « le même » ou « la même ».
L’une des conséquences concrètes dans l’accompagnement, c’est qu’une personne qui « change » du fait d’un coaching peut se heurter à son entourage professionnel parce que ce dernier a tendance à ne considérer que le caractère permanent de son identité.

L’identité dépend d’autrui

Notre identité, unique et propre, se construit aussi en fonction des autres. Paul Watzlawick, dans l’ouvrage Une logique de communication, décrit les processus et réactions à l’œuvre dans la construction de notre identité au travers de l’attitude des autres.

Il en identifie trois : 
 
► le déni ou le rejet : il y a déni lorsqu’autrui se comporte (consciemment ou inconsciemment) comme si notre identité n’existait pas ; on dira qu’il y a rejet quand autrui refuse tout ou partie de notre identité ; 
 
► la définition ou l’attribution de notre identité par autrui : l’autre nous dit « vous êtes… ». Autrement dit, cela revient à nous « coller une étiquette » ; 
 
► la confirmation : une personne A dit à une personne B : «je suis comme ça» et la personne B répond : « oui, c’est vrai ». P. Watzlawick dit que c’est de cette façon qu’une personne se construit le mieux (et en particulier l’enfant).

Contenu et processus

À la question « Qui êtes-vous ? », on pourra facilement répondre « Untel ». Cette réponse relève du contenu de l’identité. Mais on aurait pu répondre : « Viens et regarde. C’est en me voyant vivre que tu découvriras qui je suis. » Penser l’identité comme processus permet de relativiser les « déclarations d’identité » plus ou moins factices ou intéressées et conduit à plus d’authenticité interpersonnelle.


Le schéma d’identité ou la collection identitaire proposée par la psychologie humaniste

La modélisation de l’identité d’une personne en trois couches, masque, crapaud, prince, est une façon maintenant classique de présenter l’être humain et son psychisme dans le cadre de la psychologie humaniste.





Mais cette formulation peut paraître pathologisante dans la mesure où, comme le schéma le montre, on focalise sur la blessure et les systèmes de défense. En fait, derrière cette vision statique réside une version dynamique qui se présente comme suit :





Cette représentation dynamique présente une véritable opérationnalité. Ce schéma permet en effet :

d’effectuer des diagnostics pour les « professionnels métier » de
l’accompagnement (c’est-à-dire ceux dont le métier est d’accompagner,
comme c’est le cas des coachs, thérapeutes, professionnels de la relation
d’aide, par opposition aux « professionnels fonction », qui ont dans leurs
tâches le fait d’accompagner sans que ce soit leur « fonds de commerce »,
comme les managers, fonctions RH, etc.). Rappelons à la suite de
F. Delivré que ces diagnostics (PRMS) portent sur la Personne (P), ses
modes Relationnels (R), son style Managérial (M), et enfin sur la Structure/
organisation à laquelle elle appartient (S) ;

de mieux se connaître et être, en tant que personne, le meilleur outil
d’humanisation dans nos lieux investis.

Champ d’application du modèle

Cette représentation est commune à plusieurs champs de développement :

1. le travail thérapeutique ;

2. le développement personnel (qui vise la croissance de sa créativité, de son bien-être, ce que j’appelle avec affection et humour « la peinture sur soi(e) ») ;

3. le coaching ou accompagnement professionnel ;

4. le team building ou développement d’une même culture d’équipe pour accroître la coopération ;

5. le coaching d’équipe (team coaching) ou l’art de l’aider à résoudre des questions opérationnelles ;

6. l’analyse de la pratique managériale, telle que présentée dans le premier volume de la collection "Coaching global".

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Je poursuivrai cette réflexion la semaine prochaine en présentant les différents personnages que nous propose ce modèle dynamique et comment les exploiter dans la relation de coaching.

Bon we à vous !

Jérôme Curnier,



Anthropologie managériale et représentation de l’être humain dans sa dynamique de vie (1/9)
Une série d’articles de Jérôme Curnier