Accompagner le travail de deuil en coaching (3/5)



Introduction

Nous nous sommes attardés la semaine dernière sur les conséquences du refus de reconnaître qu'il y a rupture d'attachement.

Nous abordons ici les modèles de E. Kübler Ross et de F. Delivré d'accompagnement du deuil. ce sera l'occasion d'approfondir la notion de marchandage. 


Le modèle initial de E. Kübler Ross

Le contexte dans lequel Kübler Ross a mis au point son modèle de traversée du deuil en cinq étapes (déni, colère, marchandage, tristesse, acceptation) est celui de l’accompagnement des mourants. À son époque (décennie 60 et 70), il n’y avait rien encore de formaliser sur la question et les médecins hospitaliers se trouvaient parfois dépourvus face aux situations fatales qui faisaient partie de leur vie professionnelle. Ses travaux ont donc permis de faire un grand pas en avant. 


La transposition en coaching - le modèle de F Delivré

La transposition de cette modélisation au contexte du changement a permis à nombre de théoriciens et praticiens (qu’ils soient thérapeutes, consultants du changement, spécialistes RH) de procéder à des modifications intéressantes. François Delivré propose notamment des ajouts très pertinents que je me propose de retracer ici rapidement.

Tout d’abord, il passe du modèle en cinq étapes de Kübler Ross (qui mélange émotions et processus) à un modèle en huit étapes (on retrouvera ces éléments dans son livre « Le métier de coach », Edition de l’organisation). 

C’est lui qui explicite le fait que le deuil ne peut commencer que s’il y a rupture d’attachement. Si la personne ne reconnaît pas l’attachement, elle peut passer complètement à côté du processus de deuil et se leurrer au point de divorcer de soi-même sans même s’en rendre compte. Mais c’est là un cas extrême. Il inclut dans le processus,

- l’émotion de la peur ; 
 
- la démarche de pardon bien connue des processus spirituels de guérison du cœur et des souvenirs ; 
 
- ainsi que les notions de cadeau caché et de la sérénité (re)trouvée qui dépasse largement l’état d’acceptation de la rupture d’attachement. En effet, au cœur de la sérénité, se trouve ce que j’appelle un « petit supplément d’âme », à savoir une capacité à envisager la vie avec plus de la hauteur et donc de vivre ses propres deuils avec plus d’auteur-ité. Autrement dit avec une responsabilité, une habilité et habileté à répondre et traverser ces multiples mutations que nous propose la vie et qui en sont constitutives.

- Enfin, le processus de marchandage n’apparait pas en tant que tel parce qu’il traverse l’ensemble des cinq première étapes. Le propos de Delivré est simple : le marchandage vise essentiellement à rester dans une forme de déni. Ils sont toujours la manifestation d’un refus de bouger, de changer son cadre de référence. Ils donnent l’illusion à la personne de pouvoir, en marchandant la perte, éviter les sentiments désagréables qui suivent la rupture. Or cette illusion, tant qu’elle est maintenue, ne fait que retarder la rencontre inévitable avec de tels sentiments.

On repère assez vite les symptômes d’un blocage du processus de deuil. Tout d’abord, on constate que la personne n’avance plus et qu’elle va mettre en œuvre tout un système de résistance active et passive qui se manifestera par le déni émotionnel (« non, tout va bien, même pas mal »), la colère ou la protestation, mais surtout la peur qui sera exorcisée par la rationalisation, la mentalisation ce qui renforcera, in fine, le chagrin, la tristesse, la dépression, le désespoir.

Ce système de blocage est d’autant plus puissant qu’il masque en fait le message contraignant « sois fort » : l’expression des sentiments, des besoins et des envies est considéré comme une faiblesse. La personne ne se met pas au contact de ce qu’elle ressent. Elle est « forte » face à la situation. Elle fait tout pour ne pas « craquer ».

À ce message contraignant, on peut ajouter qu’après la rupture grave, il arrive que la personne se retrouve dans un tel vide, qu’elle ignore comment poursuivre son chemin. Elle se trouve dans l’impossibilité de rédiger les nouvelles pages de son scénario. Elle ne parvient pas à composer une nouvelle fin à sa propre histoire. Elle ne sait plus quoi faire de son temps, ni d’elle-même. Elle se trouve prise dans le paradoxe que même si elle sait que sa vie aura une fin, son inconscient lui, l’ignore. Il n’y a ni fin, ni mort à ce niveau de perception. Elle se sent morte dans la vie et toujours vivante au niveau de l’inconscient. Tout se passe comme dans le mythe de Philémon et Baucis : ce couple de vieillards avait accueilli les dieux déguisés en voyageurs épuisés. Or pour les récompenser de leur bonté, les dieux les rendirent éternels en les transformant en arbres, leurs branches entrelacées. Condamnés à vivre éternellement un amour qui ne peut se consommer. S’agit-il vraiment d’un cadeau, sinon d’un cadeau paradoxal ?! 


Les formes classiques du marchandage

F. Delivré rapporte quelques marchandages classiques (ou justification au blocage) lors de changements. La personne :

- Évoquera d’autres options : ah !si seulement… (c’est le fameux « que diable allait-il faire dans cette galère ! » d’Arpagon dans l’Avare de Molière) 
 
- Recherchera des responsables ou les erreurs commises. C’est une démarche rationnelle classique à laquelle l’approche systémique permet de répondre en amenant la personne à clarifier l’objectif devant plutôt que l’analyse des causes passées.

- Instaurera le silence (on ne dira rien, tout restera secret). On dira d’ailleurs à cet égard que le silence fait un bruit épouvantable, tant il est marqué par l’inconfort ! 
 
- Minimisera la perte, en réduira l’importance ou l’impact (le « même pas mal » déjà évoqué). 
 
- Prendra la fuite (le fameux « Courage fuyons » de Jean Rochefort dans le film du même titre). 
 
- Se surmènera dans l’hyperactivité (un grand classique des personnes travaillomanes !)

- Dorera la statue du passé (« c’était tellement mieux avant ! ») 
 
- S’octroiera ou réclamera des compensations matérielles et physiques (il s’agit du fondement même des négociations de licenciement par exemple). 
 
- Trouvera des justifications ou explications métaphysiques ou religieuses (« c’est Dieu qui nous foudroie » comme le rappelle la chanson de France Gall « Quand le désert avance », ou encore « ce que Dieu a donné, il l’a repris », etc.) 
 
En fait, la personne qui est en lutte avec ses propres processus de deuil ne s’autorise pas nécessairement à sortir de ses scénarii ni à se libérer du joug de ses injonctions. C’est la raison pour laquelle elle aura intérêt à être accompagnée dans cette étape de régénération (terminologie de Pamela Levin in « Les cycles de l’identité », InterEditions) en recevant les permissions qui lui manquent.

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Dans la suite de l’article, nous récapitulerons le rôle que doit tenir le coach dans le processus d'accompagnement du deuil de son client. 

Jérôme Curnier.
 
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Références bibliographiques

- Le métier de coach, F Delivré, Edition d’organisation
- Le déclic, Marie-Lise Labonté, Les Editions de l’Homme
- La mort intime, Marie de Hennezel, RobvertLaffond
- Petits deuil en entreprise, Jacques Antoine Malarewicz, Editions
- Un merveilleux malheur, Boris Cyrulnik, Odile Jacob
- Accueillir la mort, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- La mort, dernière étape de la croissance, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- Leçons de vie, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- Il n’y a ni mort ni peur, ThichNhatHanh
- Découvrir un sens à sa vie, Viktor Frankl, Les Editions de l’Homme
- Nos raisons de vivre, Viktor Frankl, InterEditions
- La guérison des souvenirs, Dennis et Matthew Linn, DDB
- Le syndrome du gisant, Salomon Sellam, Bérangel
- Coaching global, Jérôme Curnier, Afnor


Accompagner le travail de deuil en coaching (2/5)
Un article de Jérôme Curnier