Accompagner le travail de deuil en coaching (2/5)

Un article de Jérôme Curnier


Introduction

Nous avons vu la semaine dernière que le travail de deuil en coaching est nécessaire pour permettre à la personne de retrouver les ressources pour continuer son cheminement de croissance, processus naturel de la vie.

Par ailleurs, nous avons souligné que le processus de deuil commençait par la reconnaissance d'une rupture d'attachement. Mais que se passe-t-il lorsqu'elle n'est pas acceptée ?

Lorsque la rupture n'est pas acceptée

Le processus de deuil ne peut commencer que lorsque la personne accepte à la fois la rupture d’attachement et la reconnaissance (prise en compte) des émotions qui lui sont liées. Tant que la personne reste dans le déni de rupture d’attachement ou se durcit pour ne rien ressentir, le processus de deuil est bloqué. Or le déni peut durer un temps certain, selon les trois caractéristiques de la force du lien (dont nous avons parlées à l'épisode 1) !

Lorsque la rupture n’est pas acceptée, la personne rentre dans un état progressif d’isolement qui peut la conduire à une véritable coupure, un divorce vis à vis d'elle-même. Il s’agit là potentiellement d’un véritable cercle vicieux. Pour ne pas ressentir la souffrance de la séparation, la personne se sépare d’elle-même, tout en cherchant désespérément cette partie dont elle s’est séparée. Elle vit alors dans un manque continuel parce qu’elle n’est pas en contact avec ses réels besoins. Au lieu de s’abandonner à la vie et au cycle de croissance, elle s’abandonne à son sentiment de solitude et d’isolement.

Ce divorce d’avec soi-même, pour ne pas ressentir la souffrance, induit quatre types de comportement : la violence (ou invalidation) contre soi-même ou contre les autres, la dépression, la maladie et enfin la toxicomanie. Dans tous les cas, ces comportements sont tous l’expression d’une passivité (au sens de l'Analyse Transactionnelle) dans la mesure où ils ne sont pas résolutoires de la problématique en présence, i.e. la séparation qu’il convient de dépasser. Les maladies peuvent être soit somatiques, soit psychosomatiques ou encore noétiques (terme de Teilhard de Chardin), à savoir avec, à la clé, une perte de sens de l’existence.



Sur ce dernier point, rappelons que Viktor Frankl s’est particulièrement penché sur les problématiques de maladies noétiques (que j'ai évoquées dans le volume 1 de la collection Coaching global qui est sorti en novembre 2015. J'y reviendrai dans une prochaine série d'articles).

Le cycle de croissance est alors interrompu et la perlaboration des émotions propres à la rupture n’est pas ou mal faite. Ce qui conduit à l’impossibilité de mettre en œuvre un nouvel attachement, qui lui, permettrait à la personne de nourrir ses besoins réels. La palme d’or du festival de Cannes de 1966 décernée à Claude Lelouch pour le film « un homme, une femme » montre superbement cette logique d’impossibilité d’envisager un nouvel attachement affectif tant que le deuil du précédent (ou de l’être disparu en l’espèce) n’est pas fait. Or tout jugement moral sur les émotions propres au deuil de la part de la personne qui les traverse ou encore sur la lenteur de les perlaborer ne font que rallonger le processus lui-même, voire le rendre comme inaccessible.

Marie-Lise Labonté (in « Le déclic, transformer la douleur qui détruit en douleur qui guérit, les Editions de l’Homme ») rappelle que quand la personne divorce d’elle-même, elle va se maintenir en vie par des mécanismes de survie qui prennent racine de plus en plus profondément dans sa personnalité (et non sa source de vie intérieure) pour en devenir un processus d’identité. Le divorce intérieur entraine de multiples compensations. Le regard de cette autre partie souffrante de soi qui s’est séparée de soi se tourne alors vers l’extérieur. La douleur qui détruit ne sème plus la destruction seulement en soi mais aussi tout autour de soi, insidieusement. J’ai observé, dit-elle encore, que plus le divorce d’avec soi est grand, plus la recherche vers l’autre est grande. La personne crie au monde « sauvez-moi, soignez-moi, prenez en charge mon manque, sortez-moi de mon mal-être ! » Mais ce cri ne vient pas de l’amour de soi ni d’un désir de guérir de la rupture. Il vient d’un espace de destruction en soi ; par le fait même, ce cri porte la sonorité de morbidité, de haine, de déception, de culpabilité, de doute, de peur, de frustration et de violence.

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Dans la suite de l’article, nous verrons quels sont les modèles qui sont à notre disposition pour accompagner la personne dans le processus de deuil, autrement dit vers la transformation des émotions de souffrance ou d'inconfort liées à la rupture d'attachement, quelle que soit la nature de la rupture (qui n'est pas liée au seul décès, loin s'en faut). 

À bientôt,

Jérôme Curnier.
 
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Références bibliographiques

- Le métier de coach, F Delivré, Edition d’organisation
- Le déclic, Marie-Lise Labonté, Les Editions de l’Homme
- La mort intime, Marie de Hennezel, RobvertLaffond
- Petits deuil en entreprise, Jacques Antoine Malarewicz, Editions
- Un merveilleux malheur, Boris Cyrulnik, Odile Jacob
- Accueillir la mort, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- La mort, dernière étape de la croissance, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- Leçons de vie, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- Il n’y a ni mort ni peur, ThichNhatHanh
- Découvrir un sens à sa vie, Viktor Frankl, Les Editions de l’Homme
- Nos raisons de vivre, Viktor Frankl, InterEditions
- La guérison dessouvenirs, Dennis et Matthew Linn, DDB
- Le syndrôme du gisant, Salomon Sellam, Bérangel
- Coaching global, Jérôme Curnier, Afnor


Accompagner le travail de deuil en coaching (1/5)
Une série d’articles de Jérôme Curnier