Accompagner le cycle de l’autonomie (3/7)

Un article de Jérôme Curnier

1 - La semaine dernière (épisode 2/7)

La semaine dernière nous sommes rentré dans le détail de l'accompagnement du stade de la dépendance au stade de contre dépendance et étudié les tâches qui incombent au manager et au coach pour faire croître l'autonomie de ses collaborateurs ou client...

Cette semaine nous reprenons la même démarche mais en l'appliquant au passage de la contre dépendance à l'indépendance...

2 - L’accompagnement du passage de la contre-dépendance à l'indépendance

2.1 - La contre-dépendance

Nature de la situation : la situation semble rester la même mais l’énergie, elle, change radicalement. Après avoir été dans une énergie d’accueil au stade de la dépendance, la personne contre-dépendante est dans celle du refus. La relation n’en demeure pas moins symbiotique. Le « petit » est alors dans l’agressivité. Alors qu’au stade de la dépendance, la dynamique était de se placer « en-dessous », celle de la contre-dépendance consiste donc à se placer « contre ».

Relation psychologique : le collaborateur / accompagné manifeste de la colère, de l’hostilité accuse volontiers les autres de ne pas être compétents, de ne pas savoir comment mener l’équipe, etc. Le rejet est dirigé vers ceux dont ils ont été les plus dépendants, en les disqualifiant de façon simpliste. La contre-dépendance saine consiste à affirmer son caractère « ok » en regard de situations de dépendances malsaines et opprimantes contre lesquelles il faut se révolter (abus de pouvoir, maltraitances psychologiques ou physiques). La contre-dépendance devient pathologique lorsque la personne se place en situation de persécuter systématiquement autrui en mettant en place des jeux psychologiques pervers.

Le plus souvent, les jeux les moins virulents ou culturellement acceptables prennent la forme de « oui mais », « ce n’est pas tout à fait ça » (surtout vis-à-vis de ceux qui essaient de clarifier la situation dans laquelle se trouve le contre-dépendant). En fait le collaborateur / accompagné persécute l’autre (à partir d’une position de victime) pour s’en séparer sans pour autant en assumer la responsabilité et donc les conséquences. La position de contre-dépendance est en fait confortable malgré les apparences (position de vie je ne suis pas « ok » / tu n’es pas « ok ») parce qu’elle permet à la personne de rendre l’autre responsable de ce qui lui arrive et de ses émotions. Cette position permet aussi au contre-dépendant de ne pas avoir à assumer ses propres choix.

Il arrive que cette position soit tenue dans l’entreprise par des syndicalistes. Le danger de l’enfermement syndical est de refuser de quitter la position de dénonciateur. Cette attitude maintient une forme d’irresponsabilité, en ce qu’elle n’est jamais force de proposition. Il ne s’agit pas ici de nier que le syndicalisme peut et doit constituer un contre-pouvoir ajusté et sain mais de souligner qu’il peut être dévoyé.

L’émotion apparente de la contre-dépendance est celle de la colère. C’est là une observation superficielle. En fait la psychodynamique profonde s’apparente beaucoup plus à la peur. L’insécurité produite par le fait d’avoir rejeté ses propres barrières internes ou l’énergie qu’il a fallu pour rompre avec une dépendance injuste (comme par exemple le plafond de verre pour les femmes qui ne peuvent accéder aux mêmes postes que les hommes du fait de leur sexe) s’est transformée en colère mais rien ne semble résolu à ce stade. On se trouve dans une situation paradoxale où le contre-dépendant se comporte comme un colosse (qui sait exprimer sa colère) aux pieds d’argile (la personne ne sait pas où aller ni comment assumer ses choix), tel Nabuchodonosor décrit dans la Bible (premier livre de Daniel de l’Ancien Testament).

Je propose de souligner l’aspect positif de l’état de contre-dépendance que la personne traverse par le terme « polisson ». Le danger serait qu’elle y reste au point de se comporter comme un « hérisson » souligne V. Lenhardt (ou en Enfant Rebelle négatif systématique), ce qui ne ferait que renforcer sa position de vie (-,-). Or elle conduit à la dépréciation chronique de soi et des autres et peut aboutir à des comportements très destructeurs et même dangereux (radicalisation en tous genres, agressions, intégrismes). On pourrait dire que dans cette inadaptation, le subordonné ne peut que rejeter ce qui lui est proposé tant du point de vue opérationnel que psychologique. Il aura donc une tendance à adopter des postures ou des rôles sanctionnés négativement par le supérieur hiérarchique en maintenant sa position « contre » ce qui est « pour » et inversement. C’est la raison pour laquelle on lui attribue le mot clé « Non », ou, selon un vocabulaire plus consensuel, « Oui, mais… ».

2.2 - Ce qu’il convient de faire en tant que responsable ou coach lorsque la personne est en état de contre-dépendance…

Tout d’abord accepter inconditionnellement avec bienveillance et patience la personne qui vit cette étape, même si ce stade est inconfortable conditionnellement pour l’entourage : ce dernier fait l’objet d’attaques intempestives parfois injustifiables auxquelles les parents d’adolescents sont habitués. De fait, le contre-dépendant se cherche, teste autour de lui ce qui tient (notamment ses compétences, sa capacité de s’exprimer et de donner son avis, parfois sur tout et n’importe quoi) et vit une période inconfortable aussi.

Il faut garder à l’esprit que cette étape est profondément nécessaire pour permettre à la personne de consolider son système interne, sa sécurité ontologique et professionnelle, en nourrissant et en éprouvant l’ensemble de ses Etats du Moi. Il faut donc garder le cap, ne pas remettre en cause a priori le système d’autorité en place (ce serait démagogique et tout à fait contre-productif à moyen terme), ne pas toujours chercher le consensus mais maintenir la protection de ne pas retenir contre le contre-dépendant tout ce qu’il dit. Et en même temps lui signifier les limites à ne pas dépasser. Il en a besoin pour se tester lui-même. C’est un équilibre délicat à trouver et toujours à réinventer dans le mouvement, dans la relation. C’est assez épuisant pour le manager / coach. Il doit le plus souvent apprendre à mettre des « protèges tibia relationnels » pour ne pas prendre tous les coups qu’on tente de lui donner. La sagesse des quatre premiers accords toltèques est la bienvenue dans de telles situations pour le manager / coach (maintenir une parole impeccable, ne pas en faire une affaire personnelle, ne pas faire de suppositions, faire de son mieux).

2.3 - Le passage de la contre-dépendance à l'indépendance…

Peu à peu le collaborateur / accompagné va se renforcer intérieurement et professionnellement au point de pouvoir désormais se libérer de la tutelle de son supérieur et de ses collègues.

En tant que le manager / coach, il conviendra donc de mettre en place les protections appropriées pour permettre à l’autre de dire sa peur, de l’assumer et finalement d’aller de l’avant. Le danger serait d’offrir la permission de partir trop tôt avec des propos encourageants tels que « mais vous allez y arriver, vous pouvez le faire ! » en méconnaissant qu’il convient d’abord de vérifier si le « bateau flotte ». A donner trop tôt une permission on rate la cible ou même on met la personne en danger. Comme c’est la peur qui est la problématique psychologique de fond de la contre-dépendance, il faut :

Rassurer l’Enfant de la personne (de façon généralement « masculine » et non pas « féminine » ou trop nourricière) et vérifier l’envie de la personne d’avancer.
Vérifier que son Adulte a toutes les cartes en main pour agir (et pas nécessairement pour réussir à tous les coups, ce serait un leurre que de poursuivre cette finalité).
S’assurer que le Parent de la personne est suffisamment développé pour se protéger par elle-même (éviter les échecs grossiers via le Parent Normatif) et se rassurer en cas d’échec éventuel (via le Parent Nourricier).
C’est donc en travaillant sur la peur et en apprenant à l’assumer que la personne va pouvoir passer au stade de l’indépendance. Ce travail peut durer des mois...

La protection que le manager / coach devra mettre en place consiste à assurer qu’en cas d’échec éventuel de la personne qui prend son envol, il ne remettra pas en cause la confiance qu’il lui accorde ni son soutien pour renforcer ses compétences conditionnelles.

La permission à lui donner sera d’y aller désormais (« parce qu’il est temps que ‘petit Scarabée’ devienne ‘Kung-Fu’ ! » Merci David Caradine [Une époque que les moins de 30 ou 40 ans ne peuvent pas connaître ! ] !...

A quel moment sera-t-il nécessaire de pousser l’oiseau hors du nid (si tant est qu’il soit encore là tel Tanguy ; plus vraisemblablement il sera parti sans même vous en informer) ? Lorsque l’accompagné continue à faire valoir ses « oui mais » alors qu’il a approfondi et travaillé le renforcement de ses Etats du Moi (i.e. construction des valeurs dans le Parent, capacité de faire des choix et de les assumer dans l’Adulte, traitement de la peur avec identification que la colère relève plus de l’écran de fumée dans l’Enfant, développement de son Enfant Libre), c’est votre propre agacement qui vous donnera le feu vert. Il sera temps de rappeler simultanément au collaborateur / client la protection et la permission citées ci-dessus.

En termes d’émotions, je le redis : pour aider la personne à atteindre le stade de l’indépendance c’est le traitement de la peur qui importe plutôt que celui de la colère. Il sera vraisemblablement nécessaire de faire de la psychoéducation sur les émotions, leur enchevêtrement, les notions d’émotions parasites, d’émotions vraies, etc. afin de nourrir l’Adulte de l’interlocuteur en cette matière.

Le passage à l’indépendance va conduire le collaborateur / accompagné à faire le deuil du confort de ne pas avoir à assumer les conséquences de ses propres échecs et de demeurer dans la contestation systématique.

2.4 - Résumé visuel de la contre-dépendance et du passage à l’indépendance

Il sera particulièrement utile de poser la question au dirigeant qui souhaite faire advenir son personnel au stade de l’indépendance s’il y a bien une volonté politique explicite de travailler dans la durée avec l’acceptation des troubles que ce processus va engendrer. Si l’encadrement n’est pas prêt à consacrer du temps à cette croissance, on risque des phénomènes de prématuration dont nous avons déjà parlés qui conduisent à l’effet congélateur (les gens se figent après avoir été exposés trop tôt à un certain degré d’ouverture et de responsabilité qui leur retombent dessus sans que leurs Etats du Moi ne puissent l’assumer).




Suite de l’article « accompagner le cycle de l’autonomie (4/7) »
=> le passage de l'indépendance à l'inter-dépendance.



Accompagner le cycle de l'autonomie (2/7)
Un article de Jérôme Curnier