Accompagner le cycle de l’autonomie (4/7)

Un article de Jérôme Curnier
1 - La semaine dernière (publication de l'épisode 3)

La semaine dernière nous sommes rentrés dans le détail de l'accompagnement du stade de la contre-dépendance au stade de l'indépendance et étudié les tâches qui incombent au manager et au coach pour faire croître l'autonomie de son collaborateur ou son client...

Cette semaine nous reprenons la même démarche mais en l'appliquant au passage de la l'indépendance à l'interdépendance.

2 - L’accompagnement du passage de l'indépendance à l'interdépendance

2.1 - L'indépendance

Nature de la situation : c’est à cette étape que l’on sort de la symbiose. C’est à ce stade que le collaborateur « a bien compris son job ». Il n’est plus conditionné par ceux qui l’ont accompagné jusqu’à maintenant. C’est l’étape de la personne qui ne demande plus rien à ses supérieurs ni à ses collègues, qui fonctionne en indépendance, dont la seule contrainte reconnue par elle-même sera celle de la distinction entre ce qu’elle comprend et ce qu’elle ne comprend pas, ce qu’elle sait faire et ne sait pas faire. On verra particulièrement ce type de comportement chez les plus indépendants, par exemple dans les fonctions commerciales et de ventes.

La personne explore ses propres choix, ses propres valeurs, d’autres options ou alternatives possibles aux modes de fonctionnement précédents qu’elle a reconnus comme inadéquats pour elle-même. La personne sait se protéger, sait s’encourager, se congratuler, sait analyser et sait ressentir de façon assez libre.

Relation psychologique : la personne s’est mise à son compte psychologiquement parlant. Elle sait dire « Non » et se positionner pour elle-même et par elle-même… Néanmoins, pour réussir, elle assume un certain nombre de messages contraignants qu’elle s’impose tels que « sois fort », « fais des efforts ». Elle ne cherche pas la compagnie des autres parce qu’elle les considère comme insuffisamment développés ou fuit la proximité de ses homologues, ne leur fait plus confiance... Autrement dit la dynamique pourrait se résumer à « je pars loin de toi… ».

​Je propose de souligner l’aspect positif de l’état d’indépendance par le terme de «Diapason ». La personne a trouvé sa propre note comme le diapason donne le « La » de 440 Htz. Mais le danger réside dans le fait que la personne, ayant pris goût à son indépendance, aura tendance à se centrer sur elle-même et sur sa propre loi, à se considérer au-dessus du collectif et de ses règles. C’est l’étape des travaux en franc-tireur, occasionnées par une liberté (éventuellement abusive) vis à vis des processus collectifs. Si chacun rend des comptes, l’indépendant « oublie » de le faire (absence de reporting). Autre exemple : le client « oubliera » de venir en séance de coaching ou d’annuler.

A terme, l’indépendant peut devenir incapable d’être en relation avec les autres du fait d’un narcissisme exacerbé (position de vie je suis « ok », tu n’es pas « ok »). C’est la raison pour laquelle on lui attribue l’expression clé « Moi je ». Pour ma part, je le nomme par le néologisme « Narcisson ».

2.2 - Ce qu’il convient de faire en tant que responsable ou coach lorsque la personne est en état d'indépendance

Dans le cadre d’objectifs d’entreprise, c’est à ce moment-là que le rôle du coach ou du manager est de rappeler les règles et de se les imposer à nouveau à lui-même. Mais aussi de rappeler l’objet de la mission et des processus collectifs, des normes que l’on souhaite appliquer à tous (similarité des comportements, façon de pratiquer le métier ou méthodes de travail, etc.)

Il est important de créer des temps de métacommunication entre manager / coach et collaborateur / accompagné pour aborder le dépassement des limites et les sanctions encourues. Dans le langage transactionnaliste, on parle plus volontiers de réparations. Dans le cas où l’accompagné aura « oublié » de venir en séance de coaching ou omis de l’annuler, on métacommuniquera et la séance manquée donnera lieu à paiement. C’est une façon de souligner l’importance de la réparation pour se dégager du coup de canif dans le contrat relationnel d’accompagnement.

2.3 - Le passage de l’indépendance à l’interdépendance

Il s’agit pour le manager / coach de montrer au collaborateur / accompagné qu’il y a plus d’avantages à vivre l’interdépendance que l’indépendance en étant seul avec sa propre réussite. On retrouve ici le proverbe africain : « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ! »

Le deuil à assumer pour l’indépendant : celui qui désire instaurer de nouvelles relations avec ceux dont il était dépendant, notamment pour retrouver la dynamique et la synergie du collectif, va devoir accepter de renoncer à vivre à son propre rythme, à ne plus voir l’autre comme un concurrent a priori mais un partenaire, renoncer à comparer ou à se comparer. Ce n’est que lorsque la personne aura suffisamment profité de sa posture d’indépendant qu’il pourra traverser le mur ou la frontière qu’il avait construit plus ou moins fantasmatiquement vis-à-vis de ceux dont il était dépendant et de ses homologues. Ce mur sera d’autant plus long à démanteler qu’il n’aura pas suffisamment travaillé sa colère de contre-dépendant, traité sa peur, ou qu’il n’aura pas suffisamment profité de sa posture d’indépendant (ce sera le cas par exemple s’il l’a vécue sous le joug des messages contraignants qu’il se sera imposé pour faire face et s’en sortir seul, sans s’en libérer progressivement de son propre chef).

Lors du passage au stade de l’interdépendance, l’indépendant éprouvera sans doute dans son for intérieur des émotions qui auront un arrière-goût de crainte et de colère, parfois une forme de paranoïa. Il aura tendance à anticiper un mauvais accueil, comme s’il arrivait tel un chien dans un jeu de quille.

De ce fait, le rôle du manager / coach vis-à-vis du collaborateur / accompagné consistera d’abord à donner la permission à la personne de faire ce qui lui convient (« la porte est ouverte, tu viens quand tu veux » mais éviter les « ah te voilà, c’est à cette heure-là que tu rentres ! »). La protection consiste à donner à voir de façon probablement non verbale qu’il ne sera pas rejeté et qu’on ne lui en voudra pas d’avoir pris son indépendance. Sans quoi, ce serait rétablir la relation sur la base de jeux psychologiques, si fréquents dans les familles entre parents et enfants qui ne parviennent pas à vivre de façon véritablement indépendante et donc n’adviennent jamais vraiment au stade de l’interdépendance.

J’attire l’attention sur le fait que dans le passage de la dépendance à la contre dépendance la protection de l’accompagnant était posée en premier (avant la permission). Il en est de même dans le passage de la contre-dépendance à l’indépendance. Par contre dans le passage de l’indépendance à l’interdépendance, c’est la permission qui est donnée en premier : l’indépendant n’a pas forcément besoin de protection. Mais retrouver le groupe dont il s’est détaché exige malgré tout une parole échangée, une permission. Elle peut être implicite ou explicite. La protection sera plutôt à faire comprendre entre les lignes. Tout comportement accusateur entre partenaires dans la relation aurait de toute façon des conséquences invalidantes pour l’établissement du stade de l’interdépendance.

2.4 - Résumé visuel de l'indépendance et du passage à l’interdépendance 



3 - L'interdépendance

3.1 - Nature de la situation et relation psychologique

Nature de la situation : ayant constitué son « Moi », affirmé et vécu ses choix, l’indépendant peut progressivement assumer l’interdépendance en renonçant à son propre rythme pour gagner une synergie avec ses pairs et les personnes dont elle était autrefois dépendante. Les comportements et interactions sont autonomes (au sens bernien du terme : conscience claire, spontanéité, intimité) et reposent donc sur des choix personnels. La personne investit sa liberté pour en faire quelque chose avec les autres. Comme le rappelle Nola K Symor, sa « liberté de » se mue en liberté pour ». Après avoir été en posture « en dessous » au stade de la dépendance, en posture « contre » au stade de la contre-dépendance, « loin de toi » au stade de l’indépendance, le stade de l’interdépendance se manifeste par la posture « d’aller vers toi ». C’est un retour à 180° vis-à-vis de l’autre mais la relation a gagné en parité.

Relation psychologique : elle se vit en parité tant psychologiquement qu’opérationnellement, c'est à dire dans l’ensemble des États du Moi. L’aspect positif peut se résumer par le fait que les acteurs sont à « l’unisson », en véritable intelligence collective, en coopération. Chacun vit la relation en position de vie (+,+) i.e. je sais des choses et même s’il y en a que j’ignore, je reste « ok », tu sais des choses et même s’il y en a que tu ignores, tu restes « ok », nous pouvons nous compléter. Le côté potentiellement négatif, c’est de vouloir ne rester qu’entre pairs, qu’entre personnes ayant le même stade de développement. C’est la raison pour laquelle je nomme cet aspect « Cloison».

Lorsque la personne traversait les stades de la dépendance et de la contre-dépendance caractérisés par la symbiose, celle-ci était structurale, c'est à dire psychologique et profonde : en conséquence, la personne ne pouvait pas avoir d’avis différent de celui avec qui elle vivait cette symbiose, même si elle manifestait sa rébellion. A contrario, lorsque la personne atteint le stade de l’interdépendance, la symbiose éventuelle est fonctionnelle, elle n’est plus structurale. La personne peut choisir librement plusieurs modes relationnels (y compris une symbiose fonctionnelle de soumission hiérarchique en l’espèce) et maintenir l’intégrité de son identité : elle n’est plus avalée par la personne dont elle était dépendante par le passé. Elle peut rentrer dans une obéissance à ce que propose ou demande le patron (c'est à dire lui dire « oui »), non plus en vertu de la symbiose institutionnelle inaliénable (le contrat de travail exige l’obéissance des subordonnés) ni de la symbiose structurale psychologique initiale (qui rend impossible le « non ») mais par choix. En bref la personne sait dire « oui » parce qu’elle sait dire « non » opérationnellement et psychologiquement.

3.2 - Ce qu’il convient de faire en tant que responsable ou coach lorsque la personne est en état d'interdépendance

A ce stade, le « grand » du début va pouvoir se placer en position de « petit » par rapport au « petit » qui est devenu « grand », c'est à dire être pris en charge ponctuellement dans une symbiose opérationnelle. Cette attitude de la part du manager / coach vis-à-vis de son collaborateur / accompagné sera extrêmement bénéfique pour ce dernier car cela consiste symboliquement mais aussi réellement à valider son Parent, signe qu’il est devenu autonome. C’est la même histoire dans l’existence : vient un temps où les enfants prennent en charge leurs parents. Il arrive que ces derniers repoussent cette manifestation de symbiose saine. Si cela ne semble pas constituer un problème apparent, symboliquement la boucle de l’accompagnement de la croissance ne se ferme pas complètement. Si, dans le cas des parents, il s’agit d’une affaire privée et personnelle donc sans incidence pour ce qui nous préoccupe, dans le cadre d’une relation de coaching ou des liens hiérarchiques, ne pas poser cet acte symbolique constitue une erreur, oserais-je dire une faute professionnelle…

3.3 - Résumé visuel de l'état d'interdépendance

Notons enfin que l’interdépendance deviendrait pathologique si la symbiose structurale du début était inversée. Autrement dit le « grand » d’hier devient le « petit » d’aujourd’hui sans plus pouvoir se mobiliser dans l’ensemble de ses Etats du Moi relationnellement vis-à-vis du « petit » d’hier qui est devenu « grand ». C’est hélas situations que vivent les personnes âgées qui régressent physiquement au point de régresser psychologiquement puis de devenir structuralement dépendantes de leurs enfants.





Suite de l’article « accompagner le cycle de l’autonomie (5/7) »
=> le passage de l'interdépendance à la dépendance de niveau 2, comme dans une spirale.



Accompagner le cycle de l’autonomie (3/7)
Un article de Jérôme Curnier