Raffermir l'identité d'un groupe par le feedback groupal (3/4)

Un article de Jérôme Curnier


En bref

Dans un contexte de transformation de la société, de nos modes de travail et de nos façons de relationner, apprendre à se donner du feedback est devenu un incontournable.

La semaine dernière, je me suis employé à présenter les éléments techniques du processus lui-même, cette pratique permettant à chaque membre d'un collectif de prendre conscience de sa place et de son rôle au sein du groupe et conduit le groupe à affirmer son identité propre et donc à comprendre et se saisir de sa contribution spécifique au bien commun.

Cette semaine et la semaine prochaine nous proposons des exemples vécus en entreprises au sein de groupes ressources de managers (groupe d'analyse de la pratique managériale).
 

Exemple 1 de feedback groupal : dans une multinationale industrielle   

Contexte


Voici l’exemple d’un groupe d’une dizaine de personnes (manager et son équipe) d’une entreprise industrielle internationale. Lors de la deuxième journée de travail, les propos individuels avaient tourné autour de la difficulté à travailler ensemble, du manque de vision commune, des différences de perceptions, de la difficulté pour l’entreprise de trouver un positionnement différenciant dans une période de crise économique, de l’absence de visibilité et de reconnaissance de l’équipe, du manque de cadre théorique pour manager son équipe, que les uns et les autres agissaient au feeling, de la difficulté à gérer simultanément vie personnelle et vie professionnelle, etc.

Le climat était donc relativement défaitiste. Il nous a paru important de proposer de transformer ce constat assez morose en une dynamique générique de travail en formulant un enjeu collectif pour la journée.

« Phrase de régression linéaire »

La phrase enjeu que nous avons formulée est la suivante : « Apprendre l’interdépendance pour une coopétition et une visibilité publique ajustées ». La notion de « coopétition créative[1] » est la contraction du terme de coopération stratégique dans un contexte de compétition stimulante. Il est fréquent que ce concept ne soit pas connu des membres de l’équipe mais une brève explication suffit pour qu’ils en comprennent les tenants et les aboutissants et reconnaissent sa pertinence pour décrire leur situation.

Le dessin suivant a permis une représentation plus spécifique de cette phrase comme étant l’intersection de trois tendances de propos.

Schéma d’un feedback groupal – industrie lourde




Temps de métacommunication

lors du temps de métacommunication, le sentiment d’impuissance et de défaitisme s’est mué en dynamique et désir d’apprendre. Mais l’équipe avait de la difficulté à traduire cette phrase en un contenu tangible fait de comportements et d’attitudes mais aussi de compétences et de représentations. Je leur ai donc proposé qu’à l’issue de chaque demande traitée, nous construisions ensemble un résumé opérationnel des apprentissages en rapport avec la « phrase enjeu » formulée.

Cela a été aussi l’occasion d’appréhender des concepts nouveaux et néanmoins opérationnels tels que la « coopétition créative », le « domaine d’excellence » (comment on le définit, comment on le met en place, la coopération issue de la cohérence de fonctionnement d’équipe et de la cohésion du groupe, l’impuissance liée à un complexe d’imposture ou sentiment permanent d’obsolescence, concepts développés dans le deuxième ouvrage de ma collection "Coaching global").

Résultats obtenus

A l’issue de la journée, nous avons constaté combien cette phrase enjeu avait permis d’orienter le travail selon le besoin du groupe, alors que celui-ci n’était pas clair du tout initialement.

Le fait de donner du sens et de la cohérence a rendu l’appréhension du futur ou de ses propres difficultés individuelles et collectives beaucoup plus acceptables. Cela a « encapacité » (empowered) le groupe à dédramatiser collectivement les insuffisances collectives perçues.



Exemple 2 de feedback groupal : dans un cabinet d’une cinquantaine de collaborateurs, secteur de la communication

Contexte

Voici l’exemple d’un groupe de six associés d’un cabinet de communication institutionnelle, de développement digital et de Relations Publiques. Lors de la troisième journée de travail, les propos individuels avaient porté sur la prise de risques en tant qu’associé, la différence de perception de l’implication des uns et des autres, l’impact de l’ancienneté dans le métier (expertise) et dans la position d’associé (autorité de statut). L’un des co-fondateurs a partagé son désir de prendre sa retraite et ne savait pas comment passer la main, le second s’interrogeait simultanément sur la pertinence de « vendre » ou non. Deux autres ont présenté plutôt leur journal de bonnes nouvelles (clients / comptes nouvellement ouverts, réussites et distinctions / prix obtenus par le cabinet), et les deux derniers se sont plus exprimé sur leurs difficultés liées à l’environnement incertain, mais aussi les remises en question voire les fragilités que cela induisait en eux.

Les postures étaient donc extrêmement variées. Je leur ai proposé de transformer ce camaïeu de postures en une carte postale d’une randonnée en montagne, comme un cheminement présentant une évidente cohérence.

« Phrase de régression linéaire »...

La phrase enjeu que j’ai formulée est la suivante : « Entrepreneuriat en haute montagne… De quoi suis-je acteur et comment faire sa trace ? ».

Nous avons insisté sur les aspects suivants :

L’équipe dirigeante ne se situait individuellement pas au même endroit en matière d’identité même si globalement l’association se présentait comme un plateau de partage technique de compétences.


Chacun vivait son aventure personnelle d’entrepreneur (entrepreneuriat) dans un parcours d’évolution où l’un arrivait sur le plateau de statut d’associé, l’autre était sur le départ vers une nouvelle organisation de vie (retraite), que le co-fondateur s’interrogeait sur le bon itinéraire à prendre en termes d’orientations pour le cabinet.


L’important pour que ces orientations soient pérennes était de reconnaître les éléments stratégiques de l’environnement (c'est à dire les éléments clés de l’environnement auxquels le cabinet souhaite répondre sous la forme d’une offre de services) pour permettre à chacun de construire sa propre réponse et donc sa responsabilité d’acteur.
La façon de présenter les bonnes nouvelles ou les mauvaises nouvelles pouvait traduire soit un partage authentique (auquel cas, les bonnes nouvelles sont l’expression d’un véritable succès et les difficultés, ce que j’appelle le travail de l’ombre) soit être le reflet d’un positionnement dans le masque (souriant ou bien morose).


Il était donc important de solliciter l’ensemble des États du Moi de chacun pour permettre un discernement clair des besoins à traiter et éviter le syndrome de l’évitement amical (on ne parle pas de ce qui fâche) ou bien choisir des relations fondées sur des jeux psychologiques (dont l’objectif est la récupération de signes de reconnaissance négatifs, faute de mieux). Cela allait permettre de maintenir vigilance, cohésion et coopération… en évitant les invalidations mutuelles.


Schéma d’un feedback groupal – cabinet de consultants en communication

Le dessin suivant a permis une représentation plus spécifique de cette phrase (« Entrepreneuriat en haute montagne… De quoi suis-je acteur et comment faire sa trace ? ») et a donné à voir la cohérence des contributions.



Temps de métacommunication

Lors du temps de métacommunication, chacun a pu témoigner que la possibilité de se voir chacun sur un chemin d’évolution aussi simple mais néanmoins sophistiqué (puisque maillant la réalité professionnelle et dynamique personnelle) a conduit à un apaisement. Apaisement quant aux tensions et à une forme d’incompréhension mutuelle de positionnement entre associés. Chacun a pu se regarder dans son histoire individuelle mais aussi dans son aventure collective et envisager qu’il puisse y avoir plusieurs chemins possibles.

Cela a aussi été l’occasion

- D’une part d’appréhender des concepts nouveaux pour eux tels que la notion de trilogie identitaire (Masque, de Crapaud, de Prince), le triangle dramatique, les États du Moi dans la communication.


- D’autre part de prendre conscience des différentes postures identitaires comme celle de fondateur et des paradoxes à gérer, ce dont les plus jeunes associés n’avaient pas conscience (concepts qui seront développés dans le deuxième ouvrage).

Résultats obtenus ou induits

Les cas opérationnels à traiter ont été beaucoup plus centrés sur l’identité et la posture (croyances, valeurs, représentations, missions) que sur des aspects purement techniques. Les processus d’élaboration de parole, de coaching et de partage (mise à plat de représentations) ont donc été logiquement choisis par l’équipe. Lors des précédentes journées, on avait beaucoup plus eu recours à des processus moins impliquant tels que les études de cas, les apports théoriques, les témoignages sous les formes « faire-savoir » et « savoir-faire » (pour le descriptif de ces différents processus, voir le volume 1 de la collection « Coaching global »).

La cohésion du leadership a connu une belle amélioration pendant la journée et les crispations liées à l’incertitude se sont dissipées parce qu’au lieu d’être masquées, elles ont été dites. Sortir du non-dit permet de sortir de l’impuissance : exprimer est souvent l’occasion pour chacun de prendre sa part de « response-abilité » et donc de devenir acteur.


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Suite de l’article « Raffermir l'identité d'un groupe par le feedback groupal (4/4)» 
=> je présenterai un troisième exemple qui a donné lieu à un un apport théorique sur les trois "NON" (non oppositionnel, non existentiel et non positionnel) qui structurent la croissance de l'autonomisation d'une personne ou d'un groupe.

Bonne semaine à chacun(e),

Jérôme Curnier,

[1] Phénomène formulé par Ray Noorda, fondateur de la société Novell. Il a été popularisé par Nalebuff et Brandenburger au travers d’un best-seller mondial en 1996.



Raffermir l'identité d'un groupe par le feedback groupal (1/4)
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