Peut-on penser le management du futur ? Quelle place donner aux valeurs dans le management post moderne ?

Un article de Jérôme Curnier

Introduction

Dans une période de mutation tous azimuts, est-il possible de construire de nouveaux points de repère pour marcher vers demain, notamment en matière de management ?

Construire du nouveau ?

Un des problèmes majeurs que l’on rencontre lorsqu’il s’agit de changer de paradigme (ensemble des croyances, valeurs, représentations, etc.) pour construire une nouvelle façon de penser est qu’il est très délicat de ne pas se référer à ce que l’on connaît déjà. Ce n’est pas une histoire de mauvaise volonté, c’est ainsi que le cerveau fonctionne. À moins d’une inspiration créatrice, comme un saut quantique, issu de son inconscient abyssal, l’être humain fait souvent du neuf avec du vieux. Il en est ainsi avec le management.

Gary Hamel signait en 2007 l’ouvrage « La fin du management, ou inventer les règles de demain » (Edition Vuibert) dans lequel il montrait comment l’innovation managériale était autant nécessaire que l’innovation technologique pour répondre aux mutations du monde de l’entreprise et du monde tout court.

Il y préconise « une refonte complète, drastique, de l’édifice vermoulu de principes, de processus et de pratiques du management actuel ». Cette refonte, il l’a nommée le chemin vers « le management 2.0 », à l’image de la technologie du Web qu’on dit 2.0. L’enjeu, dit-il, de l’innovation managériale est d’abord d’amplifier puis d’agréger l’effort humain de manière à permettre aux personnels de réaliser ensemble ce qu’ils n’auraient jamais pu réaliser seuls. Il rappelle notamment que dans les années 90, le Web 1.0 n’était guère qu’une collection géante de pages Internet statiques. Au XXIème siècle, le Web 2.0 se construit autour de nouvelles « architectures de participation […]. L’anatomie sociale du Net est un réseau où tout le monde est (potentiellement) connecté à tout le monde. Ici les processus de contrôle et de coordination horizontaux se substituent aux processus verticaux ».

De telles mutations managériales ne peuvent se faire sans un accompagnement qui n’est pas uniquement technologique. Il ne suffit pas de donner des outils, voire des structures organisationnelles 2.0 pour que les mentalités sachent comment passer de processus verticaux à l’interdépendance qui exige la parité entre acteurs et l’intégration de processus circulaires et horizontaux.

Trois facteurs m’apparaissent dans la vie socioéconomique de ce XXIème siècle

- Ce qui compte le plus n’est pas ce que l’on fait ni ce que l’on sait produire mais la façon dont on s’y prend. Dans une économie globale, il n’est plus possible de réussir grâce à la valeur des produits ni des services, puisque, tôt ou tard, mieux, moins cher, plus performant sera disponible sur le marché. La différenciation par le marketing et le produit ne suffisent plus.

- Parallèlement, la notion de zone personnelle semble avoir disparu dans ce monde hyper connecté : tout peut faire l’objet d’un mail, d’un tweet, être « posté » sur YouTube. On peut voir tout ce que font les gens et la manière dont ils le font. Lorsque nous sommes dans une telle proximité les uns des autres et d’extimité (contraire de l’intimité), il est nécessaire de réactiver notre sens moral. Dans ce monde interconnecté, n’importe quel petit groupe peut contribuer à l’édification du bien commun ou le contraire. Il nous faut enraciner nos entreprises et nos gouvernements dans ce qui est durable : les valeurs humaines.

- Enfin la reconnaissance mutuelle demeure un besoin qui peut littéralement cannibaliser tous nos efforts. Or comme les sauts technologiques de travail collectif ont été plus rapides que nos capacités à les intégrer, ce sont nos façons de coopérer qui sont entièrement à revoir, en y intégrant d’authentiques moyens de répondre à ce besoin de reconnaissance mutuelle, condition d’une coopération saine et durable.
Performance durable reposant sur des valeurs 
 



La clé d’une performance durable portera de plus en plus sur le savoir être et la façon dont on fait les choses, voire sur le sens qu’on y adjoint. De plus en plus les entreprises prennent conscience que les valeurs, lorsqu’elles sont incarnées par les personnels conduisent à une performance durable, et constituent une authentique stratégie pour établir des relations solides de coopération tant en interne qu’en externe avec clients et fournisseurs.

Le fonctionnement du monde interconnecté et interdépendant d’après Dov Seidman (dans son ouvrage « How ») repose sur deux formules mathématiques de son cru :

1) (Technologie + Passion humaine) x (Idées « fausses » + « mauvaises » Valeurs) 
= divers Extrêmes et Dysfonctionnement global 

2) (Technologie + Passion humaine) x (Idées « justes » + « bonnes » Valeurs) 
= stabilité globale et Prospérité durable 

Il y a deux constantes dans ces formules : la connexion technologique qui ne diminuera jamais et la passion humaine pour le progrès et l’amélioration de la vie.

A ces constantes s’ajoutent deux variables : nos idées sur le monde et les valeurs. 

Les idées « justes » et la mise en œuvre de « bonnes » valeurs engendrent stabilité globale. Or, nous traversons aujourd’hui une crise des modes de vie occasionnées par nos relations à nous-même, aux autres et à notre environnement, tout cela reposant sur une crise de valeurs, lesquelles sont à réinventer en partie.

Ce dont nous avons réellement besoin, c’est de repenser les relations qui sous-tendent nos systèmes et modes de vie. Or résoudre une crise de mode de vie, cela revient à changer notre mode de vie !

Sachant que tout comportement est guidé par des valeurs, le plus important est donc de distinguer celles qui sont conjoncturelles de celles qui sont durables. Cette distinction est cruciale. Les relations entretenues par des valeurs conjoncturelles incitent à n’évaluer que ce qui est disponible ici et maintenant. Elles mettent l’accent sur ce que l’on peut ou ne pas faire dans une situation donnée. Comme le rappelle Frankl, lorsqu’une personne traverse un vide existentiel, cela provient toujours peu ou prou de ce qu’elle a perdu le contact avec ce qu’elle devrait faire et qui donne sens à sa vie. Les valeurs durables insistent donc sur ce que l’on devrait ou ne devrait pas faire dans toutes les situations. Ces valeurs nous connectent avec ce que nous avons au plus profond dans notre identité d’êtres humains (comme par exemple l’intégrité, l’honnêteté, la vérité, l’espoir, la créativité, le don de soi, etc.). Ces valeurs touchent directement à notre façon de vivre et de faire ce que nous faisons (i.e. le « Comment »), voire du sens que nous donnons à cette vie, non pas ce que nous faisons en tant que tel.

Or nos comportements économiques ont toujours eu une dimension morale et reposent eux aussi sur des valeurs. La technologie ne s’est pas contentée de nous interconnecter, elle nous a aussi rendu interdépendants sur le plan moral. Nous avons aujourd’hui besoin d’entreprises durables dans le sens où leur gouvernance repose sur des valeurs pérennes pour l’humain et donc respectueux pour l’environnement.

Évolution du leadership

Cela a des conséquences sur le plan du leadership. Dans l’économie actuelle du savoir, les informations et les idées sont infinies, (cf. Marc Halévy in « L’Age de la connaissance »). Google se charge de les distribuer gratuitement. On passe donc d’un leadership du « commander et contrôler » à celui du « connecter et collaborer ». Autrement dit renoncer à avoir du pouvoir sur les gens, déployer son pouvoir pour les gens en lançant des vagues de nouveaux comportements au travers d’une nouvelle éthique.




Classiquement, en management, on peut forcer les personnels à adopter tel comportement (via un système de punition), motiver (via un système de carotte/bâton, ce qui s’avère finalement très cher dans la mesure où chaque comportement recherché devra être canalisé par des règles donnant lieu à des comptes d’apothicaires infernaux) et enfin inspirer. Alors que coercition et motivation sont extrinsèques (viennent de l’extérieur), l’inspiration est intrinsèque (vient de l’intérieur). Les personnes inspirées ont un objectif qui est plus important qu’elles-mêmes, ce que Frankl nomme l’auto-transcendance. Ces personnes sont guidées par des valeurs qu’elles estiment fondamentales.

Il ne suffit donc pas d’avoir de bons comportements mais l’inspiration qui va avec. Jim Collins parle de ces leaders comme étant de type 5 : ils disposent d’une vision ambitieuse pour leur entreprise et la vocation de celle-ci, et de modestie et d’humilité personnelles. Lorsque ces derniers réussissent, ils disent en regardant par la fenêtre que les circonstances ont été favorables ; s’ils échouent, ils se regardent dans la glace pour voir ce qu’ils n’ont pas fait suivant les règles de l’art. Lorsque les leaders plus courants s’expriment, il est classique d’entendre des propos contraires : le miroir pour leur réussite (leur succès dépend d’eux), la fenêtre pour leurs échecs (leur faillite, du contexte).

Évolution induite des organisations



Si le leadership passe du management de type contrôle et motivation à celui de l’inspiration, la structuration des organisations doit suivre la mutation correspondante : après l’aplatissement de l’organigramme qui est le plus facile à mettre en œuvre, il convient d’élaborer et faire grandir une culture d’entreprise susceptible de développer les comportements adéquats sur la base de valeurs humaines et la diminution des méthodes anciennes d’ordres et de contrôle.

Le seul différenciateur sera la qualité et la profondeur de l’humanité de chacun. Mais il ne suffira pas de proclamer son humanité, encore faudra-t-il la vivre !

Ce que l’on constate, c’est que les entreprises qui ont fait ce choix d’un mode de fonctionnement humain avec des leaders inspirants adoptent beaucoup plus vite de nouvelles idées, sont plus innovantes, ont de meilleur taux de fidélisation de leurs clients, ont moins de turnover.

Pour adopter cette approche du comment (faire et être) plutôt que du quoi (faire et produire), il convient de s’interroger sur la raison pour laquelle nous travaillons. Il ne s’agit plus de faire les choses pour être reconnu ni pour réussir mais de les faire en adoptant une posture différente et de réussir (éventuellement). Les leaders inspirants savent que la valeur réelle et durable n’est obtenue qu’en recherchant une chose plus grande qui fait la différence dans la vie des autres. Là est en grande partie la valeur du mot SENS.

Références bibliographiques :

- « How », Dov Seidman, Dunod
- « La fin du management », Gary Hamel, Vuibert
- « L’âge de la connaissance », Marc Halévy, M2 Editions
- « De la performance à l’excellence », Jim Collins, Village Mondial
- « Nos raisons de vivre », Viktor Frankl, InterEditions 


Jérôme Curnier,



Les constats de société à l’origine de la montée des besoins en accompagnement (4/4)