Accompagner le travail de deuil en coaching (5/5)

Un article de Jérôme Curnier


Introduction

Je vais finir cette série de cinq articles sur le deuil par la description de la façon dont nous recommandons de l’accompagner à l’institut maïeutis que j'ai fondé en 2007. Il ne s’agit pas de soustraire quoi que ce soit aux propos précédents mais d’ajouter quelques points auxquels nous sommes attachés.

Premier ajout

Le premier point que je souhaite souligner encore une fois est que le processus de perlaboration des émotions dans le deuil ne débute que lorsqu’il y a reconnaissance de la rupture d’attachement.

Deuxième point

Deuxièmement le deuil consiste en la perlaboration des émotions douloureuses liées. Au cœur même du déni, il y a donc un risque important que la personne évite, comme en le sublimant, le processus dépressif incontournable causé par la rupture du lien. Elle tente de passer outre et de se retrouver de l’autre côté de la vallée du désespoir.

Troisième point

Le troisième point que m’a amené mon expérience, c’est qu’après la tristesse il y a souvent un double sentiment de culpabilité et de mélancolie qui s’installe. Culpabilité de n’avoir pas eu le temps de dire ce que l’on aurait voulu dire à la personne perdue ou de faire quelque chose qui aurait pu empêcher la rupture, de quelque nature qu’elle soit. La tentation est alors grande pour la personne de cultiver une certaine mélancolie qui est plus forte encore que la tristesse. C’est à ce moment-là que le divorce d’avec soi-même est susceptible d’advenir. Il convient donc d’être très vigilant.

Quatrième point 

Au-delà de cette mélancolie survient le vide, la vacuité, qui porte sur deux aspects :

- la perte du sens que la personne donne à la vie en général
- mais aussi et surtout la perte de direction à donner à sa propre vie.

Les référents internes de la personne (figures d’autorité, de soins, valeurs, croyances, etc.) joueront alors le rôle de stabilisateur, pour peu que ces référents soient positifs et bien intégrés (et non pas de surface).

Cinquième point

J’ai aussi constaté que l’acceptation passait immanquablement par un recentrage de la personne aussi bien aux plans de sa pensée, de ses émotions qu’elle accepte et assume comme normales, mais aussi de son corps dans lequel se sont souvent enkystés les deuils mal digérés du passé. C’est là que les protocoles de traitement corporels sont très importants (par exemple ceux proposés par l’Emotional Freedom Techniques, ou technique de rééquilibrage émotionnel par de l’acupuncture manuelle).

Sixième point

Or c’est au cœur de ce recentrage qui peut advenir par la méditation, voire la prière que le pied touche « le fond de la piscine » et qu’un désir de vivre ressurgit. Une ré-alliance avec soi-même s’élabore qui se cristallise par un désir de vivre retrouvé. C’est là le sixième point.

Ce n’est que lorsque ce désir a pris quelques racines dans le quotidien de cette personne que le pardon peut véritablement prendre sa place. Il faut entendre par ce mot la notion du don d’un oui à la vie, un par-don. Il commence par soi, parce que la personne peut s’en vouloir longtemps de ne pas avoir dépassé plus rapidement voire d’avoir refusé ses émotions douloureuses. Il y a pardon à l’autre qui est aussi impliqué dans les processus de rupture, puis enfin vis-à-vis de la Vie. Certains l’appellent Dieu, mais il s’agit d’un processus éminemment psychologique plus que spirituel dans ce cas précis.

Septième point

Le cadeau caché tel que formulé fréquemment, c’est la capacité à pouvoir refaire alliance avec les autres. Bien sûr la personne aura appris sur elle mais c’est le goût retrouvé de la vie qui est le véritable cadeau, voire même la capacité à s’en émerveiller. Comme s’il fallait avoir perdu quelque chose pour en connaître la valeur et du coup ne plus y être attaché ! Avant la rupture, l’attachement était souvent inconscient ou au mieux préconscient. Il devient alors possible pour la personne de construire une autre réalité, fondé sur de nouvelles prémisses, sur une compréhension plus intimes des cycles de vie.

Huitième point

L’observation de la vie montre à quel point elle se déploie au travers de cycles et d’alternance (par exemple le jour et la nuit, l’alternance des saisons, etc.). Pourquoi en serait-il autrement pour l’être humain ? Lorsque j’étais enfant, la lecture de l’épisode des disciples d’Emmaüs (chapitre 24, versets 13 à 35) dans l’Évangile de Saint Luc m’a beaucoup marqué puis, adulte, m’a vraiment interpelé. Le texte situe l’action le dimanche après la crucifixion du Christ qui s’était déroulé le vendredi. Deux disciples, vraisemblablement mari et femme, allaient vers Emmaüs à une journée de marche de Jérusalem, abattus, sans doute écrasés ou encore sidérés par l’événement dont ils avaient été les témoins impuissants. On imagine aisément leur besoin de parole pour mettre du sens mais aussi pour évacuer une forme de désespoir. Le texte signale qu’au cœur de cette conversation, voilà que le Christ vient faire route avec eux. Manifestement ils ne le reconnaissent pas, comme si leur cœur n’avait pas compris le sens de cette disparition brutale.

Dans cette page d’Évangile, Jésus leur explique par le menu le mystère de la vie et ce qui Le concernait dans les Écritures et dont ils étaient familiers (diantre, j’aurais aimé bénéficier de cette exégèse-là !). J’aime à penser que cette relecture donne en fait à voir a posteriori (après la sidération et le désespoir causés par la mort ou la rupture d’attachement) que des signes avant-coureur d’un renouvellement de vie avaient été semés, voire qu’une promesse avait été faite à chacun, avant la rupture d'attachement, autrement dit avant le "drame". En l'espèce, Jésus rappelle aux disciples d'Emmaüs qu'il les avait prévenus avant la crucifixion à laquelle ils avaient assisté, qu'Il devait mourir et que trois jours plus tard Il ressusciterait.

Cette page m’a donc inspiré le fait de proposer à la personne qui a traversé le deuil et qui a commencé à se recentrer émotionnellement, corporellement, mentalement, voire spirituellement de rechercher, dans les événements qui ont précédé la rupture d’attachement, les prémisses voire la promesse d’un renouvellement de vie, d’une re-suscitation du désir de vie et de la vie tout court. Il s’agit là d’un acte unique qui va conduire à renforcer la confiance et l’espérance dans l’existence, autrement dit sa résilience. Or cette espérance repose à la fois sur une expérience de renouveau qu’a faite la personne mais aussi sur une compréhension plus profonde des processus de croissance, compréhension qu’elle a désormais acquise par son cheminement. C’est là un apport considérable pour la fortification intérieure de l’homme et pierre fondamentale pour demeurer dans l’alliance de vie plutôt que de sombrer à nouveau dans le divorce d’avec soi-même. C’est là que la douleur cesse véritablement de détruire mais qu’elle se mue en douleur qui guérit. Mystère qu’il convient sans doute de réinterroger régulièrement.

Le rôle de l’accompagnant est alors d’être une main qui soutient véritablement l’être endeuillé et qui esquisse ensemble une compréhension plus profonde du sens de la vie.

L’accompagnement maïeuticien vise donc :

- À conduire initialement une prise en compte de la rupture d’attachement, en amenant la personne à la reconnaître et à la qualifier ;

- À demeurer auprès de la personne, tout au long du marchandage en le repérant, puis en identifiant la mélancolie ; 
 
- À manifester sa présence soutenante au cœur de la vacuité, en refusant la folie de l’absence de sens (névrose noétique) ; 
 
- À cristalliser le coup de pied en le soulignant explicitement à la personne lorsqu’il advient afin d’en accélérer les bénéfices ; 
 
- À veiller à ce que la personne se pardonne ; 
 
- À fortifier son retour à la vie (contrer la culpabilité psychique) ; 
 
- À conduire la relecture en cherchant ensemble les prémisses et promesses de revivance et de renouveau données avant la rupture d’attachement en vue de construire l’espérance pour les deuils futurs, qui seront incontournables ; 
 
- À maintenir la personne dans l’alliance de vie en travaillant l’ontologie dont les principes sont les suivants : 

(a) l’Homme est en mouvement donc en mutation ; 
(b) la vie a un sens (même si la sienne en semble dénuée pour l'heure) ; 
(c) la personne a un besoin de sens (direction / signification) inaliénable. Si ce besoin n'est pas pris en compte ni reconnu, elle tombe en dépression; 
(d) chacun dispose d’une liberté de vouloir et la responsabilité du sens qu'il donne à sa propre vie. A cet égard l'accompagnant est présent pour aider l'accompagné à construire ce sens. 
 

 



Pour finir sur une note moins profonde et plus opérationnelle, remarquons que dans le processus de deuil :

- Les étapes telles que décrites par les différents modèles ne sont pas linéaires, qu’il y a souvent des allers et retours de la personne qui vit le processus ; 
 
- Chaque étape a son utilité mais que certaines personnes ne les traversent pas toutes ;

- Le critère qui nous permet de savoir si la personne « a fait son deuil », c’est qu’elle parvient à parler de l’objet d’attachement perdu sans en être affectée et que cela ne remet pas en cause sa motivation existentielle.
 

À bientôt pour une nouvelle série d'articles,

Jérôme Curnier

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Références bibliographiques

- Le métier de coach, F Delivré, Edition d’organisation
- Le déclic, Marie-Lise Labonté, Les Editions de l’Homme
- La mort intime, Marie de Hennezel, RobvertLaffond
- Petits deuil en entreprise, Jacques Antoine Malarewicz, Editions
- Un merveilleux malheur, Boris Cyrulnik, Odile Jacob
- Accueillir la mort, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- La mort, dernière étape de la croissance, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- Leçons de vie, Elisabeth Kübler Ross, Pocket
- Il n’y a ni mort ni peur, Thich Nhat Hanh
- Découvrir un sens à sa vie, Viktor Frankl, Les Editions de l’Homme
- Nos raisons de vivre, Viktor Frankl, InterEditions
- La guérison des souvenirs, Dennis et Matthew Linn, DDB
- Le syndrôme du gisant, Salomon Sellam, Bérangel
- Coaching global, Jérôme Curnier, Afnor


Accompagner le travail de deuil en coaching (4/5)
Un article de Jérôme Curnier